TOUT EST DIT

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mercredi 12 janvier 2011

Les Trente Glorieuses chinoises touchent à leur fin

Cherchez l'erreur. Si l'on en croit les analystes, l'économie chinoise a connu une croissance d'un peu plus de 10 % en 2010. Sur la même période, le principal indice de la Bourse de Shanghai a accusé une baisse de 14 %. Les investiseurs ont manifestement perdu une partie de leur enthousiasme au cours du dernier trimestre 2010. Au moment même où la planète entière réalisait tout ce qu'elle doit à l'économie chinoise, les milieux d'affaires craindraient-ils, eux, que la suite du programme de développement du pays soit plus délicate ?

Depuis deux mois, les débats qui animent le petit monde des économistes tournent autour d'un thème unique : l'inflation. Celle-ci risque-t-elle de dérailler ? Elle retrouve actuellement ses niveaux d'avant la crise. Elle devient surtout problématique en matière alimentaire, avec une hausse annuelle de plus de 11 %. Fin décembre, une enquête d'opinion a révélé que le degré d'exaspération des ménages était au plus haut depuis plus de dix ans face à ce problème. Cela n'a pas échappé au pouvoir. Car personne, dans les cercles dirigeants, n'a oublié que le soulèvement populaire de 1989 était intervenu après une période de forte hausse des prix. Le Premier ministre, Wen Jiabao, a d'ailleurs déclaré avoir appris au cours de sa carrière qu'il y a « deux sujets qui peuvent fragiliser la stabilité sociale [...]. L'un est la corruption, l'autre le niveau des prix ». Il vient de répéter que la lutte contre l'inflation serait un objectif majeur cette année, tandis que le gouverneur de la banque centrale déclarait viser la « stabilité » des prix.

Dès lors, deux scénarios se dessinent. Dans le premier, les autorités font ce qu'elles ne cessent de promettre et emploient les grands moyens pour calmer la hausse des prix. C'est l'option la plus courageuse, car elle impose d'aller à l'encontre des milieux d'affaires et de ralentir coûte que coûte la circulation monétaire dans le pays. Freiner une activité de crédit manifestement débridée, mettre de nouveaux bâtons dans les roues du secteur immobilier, en pleine bulle spéculative, relever substantiellement le taux de change du yuan, les mesures à prendre sont connues. La Bourse de Shanghai ne s'y trompe pas : cela signerait la fin d'un certain âge d'or du capitalisme chinois, qui a vu les entreprises accéder au crédit bancaire à des tarifs exceptionnellement bas, au détriment de ménages contraints de placer leur épargne sur des comptes très mal rémunérés. Cela compliquerait aussi singulièrement la tâche des exportateurs positionnés sur les secteurs à faible valeur ajoutée. Ces derniers voient aujourd'hui la hausse de la devise chinoise -qui s'est appréciée de 3,6 % face au dollar l'an dernier -comme leur principale épée de Damoclès.

Pas sûr, donc, que Pékin soit vraiment déterminé à sortir l'artillerie lourde car il y aurait, à l'évidence, de la casse. D'où le deuxième scénario auquel on assiste aujourd'hui. Il est plus empreint de prudence... ou d'indécision. Même si la banque centrale a depuis longtemps conscience de la nécessité d'agir, elle reste subordonnée à un pouvoir politique hésitant et soumis au lobbying des milieux d'affaires. Certes, les autorités ne sont pas restées les bras croisés. Aux banques, elles ont ordonné six hausses de leurs réserves obligatoires au cours de l'année 2010 et deux hausses des taux d'intérêt. C'est peu comparé à d'autres banques centrales d'Asie - six hausses de taux en Inde, trois en Malaisie. C'est surtout une demi-mesure lorsqu'on constate à quel point la banque centrale rechigne à limiter le niveau des crédits bancaires. L'an dernier, l'objectif - pourtant élevé -de 7.500 milliards de yuans de nouveaux prêts a été dépassé, et rien ne permet de penser que celui de 2011 sera revu à la baisse. Le volume des prêts dans le pays est pourtant en hausse de 60 % sur deux ans et la masse monétaire semble partir en dérapage incontrôlé.

Pour certains économistes, cette hésitation à contenir fermement le crédit témoigne d'une inquiétude sur la santé du système financier. Après avoir prêté excessivement sur ordre de Pékin en 2009, afin de stimuler l'économie dans un contexte de récession internationale, les banques se retrouvent avec des créances plus que douteuses, contractées notamment par les collectivités locales. Et certains de leurs débiteurs n'ont d'autre choix que d'obtenir de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens. Pékin craindrait-il de provoquer une hécatombe en normalisant pour de bon l'activité bancaire ?

En réalité, les autorités peuvent analyser le casse-tête sous tous les angles, elles savent bien que les choses se compliquent. Car derrière les causes climatiques qui peuvent expliquer, ici ou là, la hausse des cours du chou ou du riz, il y a des forces structurelles à l'oeuvre dans la poussée d'inflation actuelle. L'une est l'envolée des salaires, qui se concrétise plus vite que prévu, et que l'évolution démographique va accélérer dans des délais assez courts. L'autre est, paradoxalement, le statut de « star » qu'a désormais la Chine sur les marchés. Conformément à son nom chinois, la deuxième économie mondiale est véritablement devenue « le pays du centre », ce qui lui vaut d'attirer les capitaux du monde entier, et alimente des bulles spéculatives sur toutes sortes d'actifs. Au final, entre coûts de main-d'oeuvre en hausse, inflation d'actifs multiples et devise appelée à s'apprécier, la Chine ne peut plus être ce pays low cost qui a bouleversé l'équilibre du monde. Certes, cela ne signifie en aucun cas la fin de la croissance. Mais les Trente Glorieuses chinoises touchent sans doute à leur fin.

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