Hélène Fontanaud, journaliste politique à La Tribune, imagine en quatre épisodes (à retrouver tous les vendredis de janvier) les événements qui pourraient se produire en octobre 2011, avant l'ouverture de la campagne présidentielle de 2012.
Le président de la République n'arrivait pas à comprendre pourquoi l'ombre de l'Airbus A330, idiotement surnommé « Air Sarko One » par ces imbéciles de journalistes, paraissait si petite dans les nuages qui s'étalaient sous la carlingue. En plus, il avait mal dormi. La chambre aménagée à l'avant de l'appareil offrait toutes les apparences du confort moderne « mais, permettez-moi de vous le dire, avait glissé Nicolas Sarkozy au pilote, dans les turbulences, on n'est pas mieux qu'en classe éco ! » Le chef de l'État rejoignit, bougon, le salon-bureau attenant. Henri Guaino était déjà confortablement installé, émiettant des croissants sur un plateau. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy arborait un sourire satisfait, la main droite posée sur les quotidiens et magazines qu'il venait d'éplucher. « L'appel des députés à Fillon a fait flop ! » s'exclama-t-il en agitant sa viennoiserie sous le nez du président qui se renfrogna un peu plus car ce genre d'écart lui était interdit. « Et ça étonne qui ? » grogna Nicolas Sarkozy. « J'ai bien noté les noms de ces trente-deux abrutis, je verrai avec Copé comment on va les récompenser dans les investitures aux législatives... » Henri Guaino se replongea dans la lecture du « Figaro ». « Fillon les a déjà désavoués... Je me demande quand même ce qu'ils ont en tête. » « Ils ont en tête de m'emm... », explosa Nicolas Sarkozy. « Ce n'est pas parce que les guignols d'en face se sont laissés ligoter dans leurs primaires à la noix qu'on va organiser une petite compétition fraternelle à l'UMP. J'ai déjà dit non aux primaires ! Et puis je le battrai Fillon et il n'aime pas ça, se battre et se faire battre ! » Henri Guaino ouvrit « Libération ». Un sondage LH2 indiquait un nouveau fléchissement de la cote du chef de l'État, après le mieux du printemps et le calme estival. L'avion piqua soudain du nez. Nicolas Sarkozy grimaça : « Ah voilà qui pourrait satisfaire tout le monde, que je m'écrase ! » « Ce n'est pas dans votre nature », susurra Henri Guaino. La voix du pilote leur parvint, quelque peu désincarnée : « Nous avons traversé un trou d'air mais le stabilisateur de vol est opérationnel. »
Nicolas Sarkozy attrapa un croissant : « Je vais vous dire quelque chose, moi, si ces crétins veulent un autre candidat, je vais leur dire que c'est d'accord. Me lever à pas d'heure, me faire trimbaler dans des avions qui tremblent comme des parkinsoniens, écouter les leçons d'économie de la Merkel, rigoler aux blagues débiles de Berlusconi, ça commence à bien faire ! Et puis je vais avoir une fille, Henri, et ça, c'est le plus important ! » Le conseiller spécial extirpa de la pile de journaux l'hebdomadaire people « Gala », qui proclamait sur toute sa une : « Carla offre une princesse à Nicolas. »
Mercredi 19 octobre. Siège de l'UMP.
Jean-François Copé jeta un regard qu'il espérait le plus dépassionné possible aux membres du bureau politique. Christian Estrosi et Dominique Bussereau étaient plongés dans une discussion animée sur Ségolène Royal. Le secrétaire général de l'UMP se cala dans son fauteuil avec un petit sourire. Les dernières escarmouches entre le camp du président et les partisans d'une candidature de François Fillon faisaient son miel. Il apparaissait plus que jamais au point d'équilibre de la majorité. La rentrée parlementaire s'était déroulée selon le plan prévu : une véritable campagne de bombardements massifs, avec dépôt de propositions de loi sur les 35 heures, le retour de la discipline à l'école, l'organisation d'un débat sur l'identité nationale en classe de terminale... En plus, les députés du PS qui couraient la province pour les primaires brillaient par leur absence.
Il y avait toutefois un point noir : l'impopularité persistante de Nicolas Sarkozy. Rien n'y avait fait. Ni la timide décrue du chômage, ni le « plan dépendance pour nos anciens », ni même la réussite, en mai, du sommet du G8-G20 à Deauville, où Barack et Michelle Obama s'étaient illustrés devant les caméras des télévisions du monde entier en rejouant pour le plaisir la scène mythique du film « Un homme et une femme » sur la plage de la cité normande. Quant à la réforme fiscale, elle avait sans surprise engendré autant de satisfaits que de mécontents.
On est en France, soupira intérieurement le député-maire de Meaux... Et 2012 n'aurait rien à voir avec 2007, avec ce « storytelling » réglé comme du papier à musique. Il fallait inventer.
Dimanche 23 octobre. Palais de l'Élysée.
Bruno Le Maire s'amusait à reconnaître dans les dédales de l'Élysée la marque des hôtes précédents du palais présidentiel. Un tableau laissé par François Mitterrand, une statuette abandonnée par Jacques Chirac... Mais aujourd'hui, pas le temps. Le ministre de l'Agriculture gravit sans peine les marches de l'escalier de marbre.
Nicolas Sarkozy l'attendait dans le vestibule, la mine soucieuse. Il brandit devant son jeune ministre une pile de feuillets quadrillés : « On perd de tous les côtés, on est comme le ?Titanic? ! » Bruno Le Maire indiqua courtoisement deux fauteuils. Chargé de l'élaboration du projet présidentiel pour 2012, l'ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon savait que les vieilles rancoeurs, mêlées aux nouvelles (n'était-il pas l'un des proches de Jean-François Copé ?), pouvaient rapidement faire surface. Comme un iceberg, songea-t-il, filant la métaphore naufrageuse. « On est dans une phase normale, souligna-t-il, captant l'attention du président, la volonté de réformer jusqu'au dernier jour a un prix. Mais c'est à l'heure H, c'est-à-dire en mars au plus tôt, que se fera la cristallisation. Et là il y aura une offensive, bien préparée, sur deux fronts. Le bilan - on mettra justement en lumière le courage du réformateur - et le projet, sur lequel, je vous le redis, nous n'aurons aucun tabou. Protection des Français mais modernisation du pays. » Nicolas Sarkozy fourragea dans ses papiers : « Mais tout de même, Marine Le Pen à 20 %, Mélenchon à 10 %, les écolos à 15 %, ça ne me laisse pas grand-chose. » « Cela ne laisse pas grand-chose non plus au candidat socialiste », sourit Bruno Le Maire. « Si vous croyez que ça me rassure ! » explosa le chef de l'État tandis que le juvénile ministre vit en pensée s'ouvrir les flots noirs de l'Atlantique Nord. Nicolas Sarkozy ferma les yeux : « Je suis fatigué, j'ai l'impression que personne ne comprend la difficulté de la tâche. En 2007, je voulais vraiment gagner... Là, je ne sais plus... »
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