TOUT EST DIT

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lundi 24 janvier 2011

La révolution inachevée

Peut-on arrêter une révolution en marche? La suspendre le temps qu’elle reprenne son souffle pour la rendre plus forte, bien à l’abri des surenchères? Éternelle question, posée depuis 1789, à laquelle la Tunisie, à son tour, n’échappe pas.

Curieux statut, en effet, que ce gouvernement à la fois parfaitement légitime au regard de la constitution et totalement illégitime aux yeux de l’histoire. La rue semble rappeler au pouvoir cette contradiction qui pollue les fragrances légères de la liberté, et l’avènement d’une démocratie qui reste à inventer.

C’est tellement tiède cette transition pour un peuple qui vient de renverser pacifiquement son dictateur... Qui pourrait accepter sans état d’âme ni tumulte supplémentaire une équipe dirigée par le Premier ministre sortant dont les postes clés sont confiés à des personnalités de l’ex-régime honni?

Cette concession à la raison pouvait sembler sage pour conjurer les risques d’une instabilité économique sûrement fatale, et ramener le calme. Trop sage et trop résignée, semble-t-il, pour les Caravaniers de la liberté qui n’ont plus qu’un mot d’ordre, désormais: aller jusqu’au bout du chemin ouvert le 14 janvier par la fuite de Ben Ali.

Il y a dans ce mouvement un mélange d’idéalisme, de spontanéité populaire et d’opportunisme, aussi, de quelques mouvements islamiques qui rêvent d’une radicalisation dont ils pourraient tirer bénéfice. Quelles que soient les motivations des uns et les calculs des autres, le réalisme qui a présidé à l’installation de Ghannouchi à la tête de l’État semble déjà dépassée par l’aspiration à un grand coup de balai sans la moindre indulgence: les «restes» de la dictature devraient être évacués d’urgence. Ils ne mériteraient, au mieux, que les poubelles d’un soulèvement plus profond encore qu’on ne l’avait imaginé.

Si profond qu’il serait prêt à tenter l’aventure ultime d’un pouvoir entièrement délivré du passé. Entièrement neuf, certes, mais totalement inexpérimenté. Une option jugée «irresponsable» par l’un des ministres issus de l’opposition. Après tout, Mandela, en Afrique du Sud, avait délibérément composé avec l’administration blanche héritée de l’apartheid. Il voulait réconcilier, certes, sur fond de nation arc-en-ciel, mais surtout éviter à tout prix la désorganisation du pays.

Cette journée de lundi sera, déjà, cruciale pour le nouveau pouvoir tunisien qui ne peut se permettre la force contre les manifestants sans craindre de perdre ce qui lui reste de crédibilité. La moindre fébrilité, le moindre tir malheureux, et c’est toute la Révolution qui pourrait prendre un autre tour, un autre sens, pour basculer dans l’inconnu.

Voilà ses acteurs confrontés à un choix extrêmement périlleux. Une alternative insatisfaisante qui est l’un des multiples colis piégés laissés derrière lui par l’autocrate fuyard.



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