Le chef de l'Etat a nommé un vice-président et un Premier ministre, en même temps qu'il faisait violemment réprimer les manifestants. Dernier bilan, samedi soir: 92 morts
dimanche 30 janvier 2011
La révolution égyptienne tourne au bain de sang
Dans quelques minutes, il sera 16 heures. L’ordre a été donné de très haut, relayé à la radio et à la télé. Couvre-feu à 16 heures. Les chars sont en position, aux quatre coins de la place de la Libération. Le soldat fixe la foule. Il pleure. Dans quelques minutes, se demande- t-il sûrement, devra-t-il tirer sur ces femmes et ces hommes qu’il protège depuis hier soir ? "Je n’ai reçu aucun ordre, inch’ Allah. "
L’heure est passée. La foule n’a pas respecté cet ultimatum d’un président qu’elle a jugé totalement rigide et déconnecté de la réalité lors de son allocution télévisée, la veille au soir. Obstinée, imprudente et impavide, la foule a convergé vers Midam al-Tahir, la place de la Libération. Cette même place totalement inaccessible vendredi soir. Parce que le pouvoir a changé de tactique. Après avoir tenté d’isoler (en vain), elle a opté pour l’enfermement. Vous la voulez cette place? Vous allez l’avoir. Et les voici, en masse, ces aventuriers d’une révolution qui tarde à s’installer. Ils n’ont cessé d’affluer depuis le matin. Seuls, en groupes ou en famille.
Il est 16h06. Des cris, une foule qui s’écarte. Un blessé. Puis le premier mort. Il est 16h15. Pantalon beige, débardeur blanc, l’homme est transporté sur une planche, pratiquement les bras en croix, et évacué hors de ce périmètre désormais sanctuarisé. " Cela fait vingtcinq ans que j’habite ici, souffle Ahmed, et je n’ai jamais vu ça. Là, je vous dis que c’est une vraie révolution. C’est une nouvelle vie pour l’Egypte, pour les Egyptiens."
L’ensemble donne une impression de kermesse révolutionnaire empreinte de religiosité. Des groupes se prosternent et offrent toute leur âme à ce Dieu qu’ils pensent de leur côté, en cette fin de semaine historique. Des slogans fusent régulièrement : "Président démission ", "Game over ", "Moubarak dégage". Une rumeur totalement folle traverse l’esplanade : Moubarak a fui. C’est le scénario Ben Ali. La foule éructe, se congratule, pleure. "Il a foutu le camp, enfin, ce bâtard!" Vérification faite, l’information n’est pas tout à fait exacte. La nouvelle vient du Qatar. Un homme et pas n’importe lequel, le cheikh Youssef Al-Qardawi, la coqueluche des ménagères égyptiennes de moins de 50 ans, la bête noire de Moubarak, a juste déclaré que seul le départ du président égyptien pourrait régler la situation du pays. Mais la foule est déjà passée à autre chose. Il est 16 h19. Une première altercation survient entre un manifestant et un militaire. Rapidement éteinte. Puis une minute plus tard, c’est un autre mort. La foule s’énerve, impatiente, impérieuse.
Dans la rue Mohamed-Mahmoud, la révolution patine. La poigne, la vitalité sourde et sauvage du raïs éclatent dans la fumée noire du Caire. La rue mène au ministère de l’Intérieur. Deux chars ont pris position à mi-chemin, à l’intersection. L’un est totalement fermé. Les manifestants sont montés dessus et célèbrent leur victoire. Cris, slogans… L’autre est ouvert. Un soldat, visiblement terrorisé et très jeune, prend son courage à deux mains et s’en extrait afin d’aller à la rencontre de ces hommes et femmes enragés. Il les supplie de reculer, de s’en aller, de se contenter de la place de la Libération. Mais ces hommes et femmes renâclent. Elle est là, à portée de main, cette libération dont ils n’ont cessé de rêver ces trente dernières années. Alors ils osent se fâcher avec cette armée qui pourtant les a tant épargnés ces dernières vingt-quatre heures. De ses grands yeux clairs, le soldat les implore. "Mais nous n’avons même pas de munitions! Pitié, reculez! "
Une armée sans munitions, une armée sans véritable mot d’ordre. Un peu plus loin, toujours dans cet axe farouchement protégé par une police sans pitié, deux autres chars ont pris position. L’un des soldats qui fume tranquillement une cigarette et serre les mains régulièrement, admet que les consignes demeurent plus que floues. "J’ai demandé à mon capitaine si on pouvait tirer mais il a refusé. Il a dit qu’on n’avait reçu aucun ordre." Des tirs éclatent. La foule de ces jeunes hommes enragés opère un repli momentané. Les blessés se font de plus en plus nombreux. Ils sont en majorité touchés à l’oeil. Une petite mosquée délabrée et miteuse a installé une sorte d’hôpital de campagne improvisé, rudimentaire et chaotique. Blessés et fidèles en train de prier se côtoient dans un vacarme et une confusion totale. Les blessés sont allongés sur des nattes en plastique et sont soignés par des hommes et femmes infirmiers. Tandis que les uns ressortent un pansement sur l’oeil ou ailleurs, d’autres arrivent portés par leurs frères d’armes. Et des guerriers, il en faut parce que la police ne faiblit pas. Les tirs de gaz lacrymo sont de plus en violents et rapprochés. Le ministère de l’Intérieur reste hors de portée.
La nuit est tombée. Midam al- Tahir ne se vide pas. Les gens continuent d’affluer. Comme Nermin Khafagui, 41 ans. Cette égyptologue ne manque pas de courage. Elle avance résolue, une pancarte en guise de porte-drapeau sur laquelle il est écrit « Nous sommes tous des Coptes ! » « J’attends ce jour depuis vingt ans ! Il faut que le peuple soit solide, solidaire. » Mais que dit cette jeune femme devant l’attaque du musée du Caire ? "Le peuple l’a protégé ! Il n’a visé que les commissariats ou le bâtiment du parti unique. " Et l’armée ? Nermin admet son trouble. "C’est pas clair. Je croyais qu’elle était de notre côté mais, là, je ne sais plus. Bien sûr, elle ne nous a pas tiré dessus malgré le couvre-feu, mais elle ne nous laisse pas passer non plus. Est-ce que ce n’est pas là une de ces manœuvres dont Moubarak a le secret? »
L’armée encore. Qui serre les mains, fraternise, embrasse et tolère. De quel côté se situe-t-elle au fond? Difficile à dire. Le syndicat des journalistes du Caire a distribué des tracts tout au long de la journée, lui demandant de se joindre au peuple. Il est vrai que dès vendredi, lorsque le bruit des chars a retenti dans la capitale, un frisson de peur, une appréhension teintée d’espoir a traversé le cœur des Cairotes. Mais elle a rapidement prouvé qu’elle semblait être de leur côté. Hier matin, les soldats se sont fièrement positionnés, afin de protéger le célèbre musée du Caire. Le peuple l’a aidé en improvisant un cordon de sécurité. Mais il est apparu très vite que la chaîne de commandement était plutôt obscure, difficile à cerner. Les soldats ont semblé souvent fiers mais perdus. Voire impossibles à approcher dans les quartiers islamistes. Là encore, les rumeurs sont allées bon train. Des querelles entre les généraux. Ceux qui seraient fidèles au raïs et les autres, qui seraient tentés de le lâcher. "Où est notre général Rachid Ammar, comme en Tunisie?"
Une armée qui pourtant s’est mouillée encore hier soir, en demandant à la population de se défendre personnellement contre les criminels de tout poil qui ont déferlé sur Le Caire depuis quarante- huit heures. "Elle veut se distancier de la police, ne pas porter le chapeau d’une stratégie qu’elle ne maîtrise pas", avance ce journaliste. Possible. En attendant, il est clair que le régime l’a très astucieusement concentrée dans le centre-ville, alors que le danger hier soir s’était très déplacé dans les quartiers chics. Ces fameux quartiers d’où tout est parti. Ma’ Ady, Hélioplis, Zamanek et Mohandessin, ces quartiers maudits et leurs bloggers "sans conscience égyptienne ". Comme Tarek, 35 ans, qui vit à Héliopolis. Claquemuré chez lui, terrorisé après le conseil diffusé hier soir par l’armée, le seul mot d’ordre, qui recommande aux gens de se défendre eux-mêmes. Quitte à tuer pour ne pas mourir.
deux momies endommagées
Deux momies du Musée égyptien au Caire ont été sévèrement endommagées lors d'une tentative de vol pendant les manifestations anti-gouvernementales. Profitant de l'incendie du siège, voisin, du Parti national démocrate (PND) du président égyptien Hosni Moubarak, des inconnus ont escaladé les grilles, cassé une vitre et se sont introduits dans le musée pour y dérober deux momies, a expliqué Zahi Hawass, le patron des antiquités égyptiennes. "Mais les manifestants ont arrêté les voleurs en collaboration avec les forces de sécurité et elles ont été rendues au musée, mais ont été endommagées", a-t-il ajouté. "Seules les têtes sont intactes", a-t-il précisé.
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