Le président a nommé un vice-président et un Premier ministre, mais les manifestants réclament son départ.
Le président égyptien, Hosni Moubarak, a annoncé samedi après-midi la nomination d'Omar Souleïmane, qui dirigeait jusqu'ici les services de renseignement, au poste de vice-président. Un poste que le raïs avait laissé vacant depuis son accession au pouvoir, en 1981. Le ministre de l'Aviation, le général Ahmad Chafic, nommé Premier ministre, est chargé de former un nouveau gouvernement, a annoncé la télévision d'Etat.
Réputé intègre, Omar Souleïmane, régulièrement cité parmi les candidats potentiels à la succession du raïs égyptien, est un proche allié de Moubarak. Il s'est illustré par ses efforts de médiation au Proche-Orient, recherchant notamment à faciliter le dialogue interpalestinien (voir encadré). Sa nomination apparaît comme une initiative propre à relancer les spéculations sur le scrutin présidentiel prévu en septembre. Elle suggère également que le fils du raïs, Gamal, 47 ans, que la rumeur donnait comme l'héritier politique de son père, pourrait être écarté.
« C'est mieux que rien, le signe que le régime prend les choses au sérieux et réalise la gravité de la situation », a commenté Shadi Hamid, directeur de recherches au Brookings Doha Center. « Cela dit, je ne pense pas que cela sera suffisant, du moins du point du vue des manifestants qui ont clairement manifesté leur volonté d'une rupture totale avec le passé (...) En d'autres termes, ils ne veulent pas un régime amélioré, ils veulent un régime différent. »
Départ de Moubarak et passation de pouvoir
M. Moubarak, 82 ans, dont l'avenir semble sombre et qui donne l'impression de vouloir s'accrocher au pouvoir. Mais les promesses, en deçà des revendications de la population pour de meilleures conditions de vie (lutte contre le chômage et la pauvreté, la liberté d'expression), n'ont pas entamé la détermination de la rue à le chasser.
Les Frères musulmans, principale force d'opposition en Egypte, ont appelé à une passation pacifique du pouvoir. La confrérie a affirmé son soutien au «soulèvement pacifique béni» et appelé à la mise en place d'«un gouvernement de transition sans le Parti national démocrate (au pouvoir) qui organise des élections honnêtes et une passation pacifique du pouvoir». Dans une déclaration à la chaîne Al-Jazira, le plus influent prêcheur du monde arabe, cheikh Youssef Al-Qardaoui, a affirmé que seul le départ du président Hosni Moubarak pouvait régler la crise en Egypte, avant d'appeler le peuple à poursuivre son «soulèvemen t» pacifiquement.
L'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradeï,a, quant à lui, exigé samedi le départ d' Hosni Mourabak et de son régime qualifié de «dictatorial» et proposé ses services dans le cadre d'un gouvernement intérimaire. Mais pour l'heure, seul Ahmad Ezz, un haut responsable du parti au pouvoir largement perçu comme un pilier du régime, a démissionné samedi du Parti national démocrate, a annoncé la télévision d'Etat.
Demande de changement
Alors que la population déchire ses portraits, incendie le siège de son parti (le Parti national démocrate) et réclame son départ, le président, au pouvoir depuis 30 ans, n'a pas évoqué son éventuel retrait de la vie politique. La nomination d'un vice-président suffira-t-elle à calmer la colère des Egyptiens ? Il est trop tôt pour le dire mais la demande de changement est réelle. Aux cris de «Moubarak va-t-en» ou «Celui qui aime l'Egypte ne détruit pas l'Egypte», plusieurs dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés samedi dans le centre du Caire, défiant un couvre-feu entré en vigueur à 16H00 (14H00 GMT) et les manifestations _ qui ont fait 51 morts et 2.500 blessés (dont 1.000 policiers) depuis mardi _ se poursuivent dans le pays. «Le président doit partir, c'est la seule chose que nous souhaitons. Moubarak doit simplement quitter le pouvoir. Ca fait trente ans qu'il est là, c'est assez», a déclaré Hassan, un manifestant d'une trentaine d'années.
Ces manifestations, parfois émaillées de violences, touchent tout le pays. A Rafah, ville frontalière de la bande de Gaza, le siège de la Sûreté de l'Etat a été attaqué par des manifestants et les heurts ont coûté la vie à trois policiers. A AIsmaïliya, sur le canal de Suez, des heurts violents ont éclaté entre forces de sécurité et des milliers de manifestants. A Alexandrie (nord), deuxième ville de pays, plusieurs commissariats étaient en flammes. Un supermarché Carrefour a été pillé samedi à la sortie du quartier de Maadi, près du Caire où vit une importante communauté d'expatriés. Une autre antenne du géant français était fermée en banlieue alors qu'on fait également état de pillages dans la capitale.
La communauté internationale a exprimé ses vives inquiétudes, les Etats-Unis et la Russie notamment appelant à s'abstenir d'utiliser la violence. A Paris, les voyagistes viennent d'annoncer la suspensions de leurs vols ce week-end et le Quai d'Orsay a appelé les Français à
« limiter » leurs déplacements en Egypte. Le Premier ministre François Fillon déclarait : «
C'est le peuple égyptien qui décide (... et aucun pays ne peut prendre la place du peuple égyptien».
«Il faut que les violences s'arrêtent, personne ne peut accepter qu'il y ait des morts», a ajouté le chef du gouvernement.
Omar Souleïman, l'homme-clef de la politique étrangère
Omar Souleimane, le nouveau vice-président d'Egypte, est un spécialiste des a géré des dossiers de politique étrangère dont celui du conflit israélo-palestinien. Patron des services secrets égyptiens, il a opéré dans l'ombre, parlant avec Israël et son ennemi juré, le Hamas, pour en finir avec la meurtrière guerre de Gaza fin 2008. A son actif : le record des trêves israélo-palestiniennes, parfois de courte durée, conclues depuis la deuxième intifada palestinienne en 2000.
Né en 1934 dans une famille aisée de Qena, en Haute-Egypte, cet homme à la calvitie prononcée et la moustache en accent circonflexe, a troqué l'uniforme pour les costumes rayés. Incontournabe, il accumule les «missions spéciales». Il gère en première ligne les dossiers stratégiques «Israël» et «Palestiniens», davantage que le chef de la diplomatie, Ahmed Aboul Gheit. Pour lui, ce «métier» est un jeu d'échec ou de cartes. On ne gagne pas toutes les parties. Ainsi le général Souleïmane avait placé ses hommes à Gaza et pourtant le Hamas avait réussi à bouter en juin 2007 le Fatah de Mahmoud Abbas. Engagé dans la voie militaire, il prend rapidement le chemin des «services», devenant en 1991 le chef des moukhabarat, le redoutable et tentaculaire bureau de renseignements intérieurs.
Il faisait partie du «premier cercle», très étroit, de M. Moubarak. C'est lui qui a conseillé au raïs de faire acheminer une voiture blindée lors de son déplacement, le 22 juin 1995, à Addis Abeba, pour un sommet panafricain, ce qui lui a sauvé la vie.
Les groupes islamistes radicaux de la Gamaa islamiya ou du Jihad, responsables de sanglants attentats en Egypte, sont ses premières cibles dans les années 1990. La répression qui s'abattit sur eux fut sans pitié. «Souleïmane, il est clair, structuré, subtil, crédible pour tous, et donc respecté par tous», a déclaré à l'AFP l'ex-chef du service de renseignements d'un grand pays européen, qui l'a souvent rencontré. «Issu de la matrice militaire, il est les yeux et les oreilles du président, avec un sens aigu des intérêts de l'Egypte», note son ancien «collègue» européen, et fin connaisseur du monde arabe.
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