TOUT EST DIT

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vendredi 19 novembre 2010

Comment le bouchon de la crise a sauté

Les difficultés de certains pays victimes de la crise de la dette ne sont pas dues uniquement à la spéculation internationale et à la mauvaise gestion des finances publiques, mais aussi à leur incapacité à créer de la richesse, écrit Il Foglio. C’est le cas du Portugal, qui ne s’est jamais vraiment adapté à l’euro. 

On pourrait l’appeler l’histoire du bouchon de liège. Elle se déroule au Portugal, mais elle concerne également d’autres pays européens, à quelques variantes près. Elle nous apprend que les Portugais sont les plus grands producteurs et exportateurs de liège utilisé pour la fabrication des bouchons de bouteilles. Le liège se fabrique à partir de l’écorce du chêne-liège et de la terre dont il se nourrit.
Quoi de plus solide et concret, à l’opposé des prêts, des dettes, des lettres de change et des contrats dérivés, bref, de tout ce "crottin du diable" qui a provoqué la crise. Si ces prémices bucoliques étaient exactes, la crise de l’économie de papier n’aurait pas dû atteindre celle du liège. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est produit.

Un endettement de 300% du PIB

Comment se fait-il donc que les petites nations européennes comme le Portugal vacillent sous les coups de la spéculation ? Tout d’abord, c’est précisément à cause de leur taille : aujourd’hui, leurs bons du Trésor sont achetés par des colosses financiers, dont le bilan dépasse celui de nombreux Etats.
Ensuite, c’est parce que ces pays ont trop de dettes, publiques et privées : malgré une politique fiscale d’austérité, leurs gouvernements n’arrivent pas à en venir à bout. L’économie de l’Irlande représente 1,7% de la zone euro ; pourtant, les banques irlandaises ont absorbé un quart des fonds mis à disposition par la Banque Centrale Européenne (BCE). La Grèce, avec 2% du PIB de la zone euro, a absorbé 17,3% des liquidités provenant de Francfort.
Le Portugal, moins vorace, représente 1,8% du produit brut de la zone euro, avec seulement 7,5% de prêts. Toutefois, les Portugais sont plus endettés que les Grecs : si l’on additionne les ménages, les entreprises et le gouvernement, on arrive à 300% du PIB, par rapport au 240% de la Grèce.
Enfin, il existe une troisième raison, certainement la plus importante sur le  long terme : ces pays ne réussissent pas à produire assez de revenus pour pouvoir payer leurs dettes. Le Portugal, avec un rapport de 7,2% entre la dette et le PIB, vise une croissance de 0,7% cette année. Mais l’agence de notation Standard & Poor’s, qui anime les marchés, s’attend à un recul d’1,8 % pour l’année prochaine.

Du jour au lendemain, le Portugal a dû vivre avec une monnaie forte

Venons-en au cœur du système. Le Portugal a mis beaucoup de temps pour sortir du sous-développement dans lequel la dictature d’António Salazar l’avait maintenu. La Révolution des Œillets de 1975 a permis d’asseoir la démocratie, mais pas le bien-être, pas tout de suite, du moins. Il a fallu attendre les années 1990 pour constater un véritable épanouissement économique, même si le pays a encore une économie marginale.
Ses exportations sont constituées de marchandises à faible valeur ajoutée. Ses relations les plus étroites, le Portugal les noue avec l’Espagne – dont il est devenu une sorte de dépendance –, puis avec la France et l’Allemagne, enfin avec l’Angola, ancienne colonie africaine qui lui fournit surtout du pétrole.
La production principale du Portugal est le textile, qui était compétitif grâce au coût de la main d’œuvre, avant l’irruption sur le marché de l’Europe de l’Est. Puis est arrivé l’euro.
Du jour au lendemain, le Portugal s’est mis à vivre, à produire, à vendre et à exporter avec une devise forte, à peu près aussi forte que le mark. Ce n’est donc pas un hasard si la situation a commencé à empirer à partir de 2001.
La croissance réelle des dix dernières années a été inférieure de cinq points par rapport à la moyenne de l’ensemble de la zone euro. Le Portugal n’a pas réussi à profiter du boom espagnol et l’industrie lusitanienne a perdu des parts de marché dans tous les secteurs de l’économie.
Dans une étude comparée qui s’étend de 1995 à 2005, le Fonds Monétaire International montre une chute de l’économie portugaise dans tous les secteurs principaux, touchant aussi bien le textile et l’habillement que la production de liège.

L'échec de la reconversion de l'économie

Le bilan est négatif également dans les services, jusque dans le tourisme, qui représente la principale activité du tertiaire du Portugal. Ce sont de tendances sur le long terme, qui ne s’expliquent donc pas uniquement par l’euro. Cependant, l’entrée dans la monnaie unique demandait une profonde reconversion, un bond compétitif fondé sur la qualité et pas seulement sur la politique des prix ; bref, une reconversion totale de l’économie.
Pendant ce temps, les perfides producteurs de vin – à commencer par les Français – se sont mis à utiliser le silicone, et même – comble de l’horreur – des bouchons à vis en métal, pour les vins blancs qui n’ont pas besoin de vieillir.
Ainsi, ce qui apparaissait comme une niche d’excellence en termes de matière première et de spécialisation dans la production, car nulle part ailleurs dans le monde les hommes et les machines savent travailler avec la même qualité l’écorce du chêne-liège pour en faire de vrais bouchons, ne fait plus le poids non plus.
En somme, il s’agit bien d’une preuve supplémentaire que la théorie ricardienne sur l’avantage comparatif et la spécialisation industrielle n’a pas résisté face au changement des goûts, à la stratégie des vignerons et à l’exigence de réduction des coûts.

L'économie du liège : première touchée par la crise

Bouchons de liège, porto, vinho verde, vêtements, composants électroniques, tourisme : tous les éléments qui pesaient dans la balance commerciale portugaise ont perdu du poids, avec pour conséquence moins de richesse pour le pays.
Avant l’explosion de la bulle immobilière aux Etats-Unis, le Portugal était considéré comme un pays en difficulté ; avant la finance, c’est l’économie du liège qui a été touchée par la crise. Et la panique financière a fait le reste.

C’est à ce moment que sont intervenues les banques. Les ménages portugais, autrefois très épargnants tout comme les ménages italiens, se sont endettés auprès de leurs banques qui ont eu recours de manière massive aux prêts étrangers. Cette forte dépendance a rendu l’économie portugaise, faible et peu compétitive, aussi vulnérable que l’économie grecque.
Personne n’est immunisé contre la grande contagion de la crise, mais les pays avec une structure économique plus délicates sont les plus exposés. Les économies qui, tout en étant spécialisées dans des secteurs d’excellence, savent garder une vaste gamme dans le secteur manufacturier et dans les services, s’en sortent toujours mieux.
Voici donc encore un pays qui a vécu au-dessus de ses moyens, moins à cause des gaspillages publiques et de la paresse privée qu’à cause de son incapacité à adapter son propre système au nouvel environnement créé par la monnaie unique.

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