La cour d'appel de Versailles amenée hier à se prononcer sur la poursuite ou non de l'enquête d'une juge. Des avocats qui se retrouvent aujourd'hui devant un tribunal pour régler leur différend, un quotidien national qui dépose plainte pour violation du secret des sources… En trois jours, trois fronts ouverts dans l'affaire Woerth/Bettencourt. Où cela va-t-il s'arrêter ? Certes, un dossier pénal de cette ampleur est toujours une guerre de tranchée. Tout le monde se salit un peu et la stratégie est essentielle. Mais il y a des codes, des barrières infranchissables. Or ils semblent tous exploser dans cette affaire hors norme. Au point que le conflit d'origine opposant une mère et sa fille est devenu presque anecdotique tant les déflagrations des autres « guerres » du dossier, entre avocats, entre juges, entre mis en cause politiques, sont venues perturber son déroulement. La presse elle-même est devenue protagoniste à part entière. Et tous se livrent désormais un combat sans merci : il n'y a plus une seule place sereine où parler des enjeux juridiques de l'affaire. Presque un cas d'école.
Guerre n° 1 : la fille contre la mère
On a du mal à se rappeler qu'au départ il y a le conflit entre une mère, Liliane Bettencourt, et sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, qui reproche à l'artiste François-Marie Banier d'avoir abusé des largesses de l'héritière de L'Oréal. En soi, le dossier est hors norme puisqu'il concerne les héritières -parmi les premières fortunes de l'Hexagone -d'un des fleurons de l'industrie française. Les analystes ont à peine le temps de s'interroger sur l'avenir de L'Oréal face aux appétits de son principal actionnaire, Nestlé, que l'affaire vire au brûlot politique à la suite de la divulgation des enregistrements clandestins de conversations entre Liliane Bettencourt et son entourage. Le climat devient sulfureux. Quatre enquêtes préliminaires sont ouvertes, dont une pour financement illégal de parti politique et une pour blanchiment de fraude fiscale.
Guerre n° 2 : la presse contre le pouvoir
Depuis les révélations de Mediapart qui ont lancé l'affaire Woerth jusqu'à la plainte récente du « Monde » pour violation de la loi sur le secret des sources des journalistes, la presse est embarquée dans le maelström de l'affaire Woerth-Bettencourt. S'il est habituel qu'un grand procès se joue aussi dans les médias, la divulgation d'écoutes pirates relatant des conversations privées et/ou couvertes par le secret professionnel est une première. De la même manière, même si on peut déplorer l'atteinte au secret de l'enquête, les procès-verbaux d'audition ont « fuité » tant d'un côté que de l'autre. Ce sont ceux d'abord de Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, dans « Le Monde », mettant à mal la défense du ministre du Travail. Puis ceux de Claire Thibout, comptable de la milliardaire, à l'origine d'accusations sur un financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, qui affirme ensuite que ses propos avaient été déformés et dont le PV de rétractation se retrouvent aussitôt dans « Le Figaro »… comme au plus clair des affaires politico-financières des années 1980. La presse alors servait de caisse de résonance et permettait de protéger le travail de certains juges. Sauf qu'ici aucun juge d'instruction n'est saisi et que l'affaire fait l'objet de plusieurs enquêtes préliminaires par le parquet sans procédure contradictoire.
Guerre n° 3 : les juges contre les juges
Entre le procureur Philippe Courroye et la juge Isabelle Prevost-Desprez, l'inimitié est de notoriété publique au tribunal de grande instance de Nanterre. Chacun est chargé d'une partie du dossier : au procureur (le parquet) Philippe Courroye la partie « politique », à la juge (le siège) Isabelle Prévost-Desprez l'enquête sur l'éventuel abus de faiblesse. Hier, la cour d'appel de Versailles, saisie par l'avocat de Liliane Bettencourt, a décidé qu'Isabelle Prévost-Desprez pouvait poursuivre son travail d'investigation. Philippe Courroye, lui, avait classé la plainte pour abus de faiblesse de Françoise Bettencourt-Meyers, estimant que le dossier n'était pas assez solide sur le fond. Isabelle PrévostDesprez s'est au contraire empressée de recevoir la citation directe faite ensuite par l'avocat de la fille de Liliane Bettencourt à l'encontre de François-Marie Banier. La juge enrage de voir le dossier coupé en deux et soupçonne Philippe Courroye de vouloir étouffer l'affaire… A l'audience, elle laisse entendre que le procureur ne serait pas indépendant. Lui, de son côté, fait la mauvaise tête et refuse de lui transmettre les enregistrements, obligeant la juge à en demander une nouvelle retranscription à la brigade financière. C'est, peut-être, in fine, le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, qui, lui, n'a rien contre personne mais pense à sa fin de carrière, qui aura le dernier mot en demandant éventuellement la saisine de la Cour de justice de la République sur le cas d'Eric Woerth.
Guerre n° 4 : les avocats contre les avocats
C'est, là encore, un classique, mais cette guerre-là prend des proportions ubuesques. Aujourd'hui, Olivier Metzner, l'avocat de Françoise Bettencourt-Meyers, va se retrouver devant la 17 e chambre du tribunal de grande instance de Paris, face à Georges Kiejman, avocat de Liliane Bettencourt. Est-ce pour représenter leurs célèbres clientes ? Absolument pas : Olivier Metzner accuse Georges Kiejman de diffamation. Les deux ténors du barreau se sont envoyés des noms d'oiseaux par presse interposée : « complice d'espionnage », siffle le premier, « aigrefin », rétorque le second. Deux de leurs confrères les représentent, Richard Malka pour Georges Kiejman, François Stefanaggi pour Olivier Metzner et Françoise Bettencourt-Meyers. C'est une première.
Les guerres sont ouvertes. Mais cette fois, il semble que même la justice saisie ne soit pas capable d'éteindre les feux.
Alors la stratégie judiciaire n'est plus que le faire-valoir d'une stratégie médiatique poussée jusqu'à l'absurde.
Valerie De Senneville
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