TOUT EST DIT

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jeudi 16 septembre 2010

Il ne faut pas sacraliser le modèle allemand

Lorsque l'on compare la situation de l'Allemagne et de la France, on conclut souvent que la France présente de nombreux handicaps structurels vis-à-vis de l'Allemagne et que l'Allemagne pourrait être un modèle pour la France. Cette perception a été renforcée par le niveau plus élevé de la croissance en Allemagne sur la première partie de l'année 2010 : 2,2 % au deuxième trimestre contre 0,6 % en France. Même chose pour le taux de chômage, qui atteint 10 % en France et 7,6 % en Allemagne. Les handicaps structurels de la France par rapport à l'Allemagne les plus souvent mis en avant sont au nombre de quatre.
1 La capacité à exporter, forte en Allemagne, faible en France

Malgré une évolution des coûts de production dans l'industrie identique à celle de l'Allemagne et un effort de recherche-développement pas beaucoup plus faible (2,6 % du produit intérieur brut - PIB -en Allemagne et 2 % en France), les parts de marché à l'exportation de la France sont considérablement plus basses que celles de l'Allemagne : 3,5 % du commerce mondial hors pétrole pour la France et 11 % pour l'Allemagne. Les exportations vers les pays en croissance forte (émergents, exportateurs de pétrole) représentent 11 % du PIB en Allemagne, 4 % en France : on comprend alors que la forte reprise du commerce mondial au premier semestre 2010 écarte les taux de croissance de l'Allemagne et de la France par le simple effet de la taille des exportations.
2 La France n'est pas un pays industriel.

La part de l'emploi manufacturier dans l'emploi total est de 12 % en France contre 19 % en Allemagne ; le poids de l'industrie en France est le plus faible des pays de la zone euro à l'exception de la Grèce.
3 La faible profitabilité des PME françaises.

Le troisième handicap structurel de la France est la faible profitabilité des entreprises, autres que les grands groupes cotés (des PME en particulier) ; le taux de profit des entreprises, rapporté au PIB, varie entre 10 % et 11 % en Allemagne, entre 6 % et 7 % en France ; les cash-flows (profits disponibles) des entreprises françaises ne représentent que 60 % à 70 % de leurs investissements, 110 % en Allemagne.
4 Une fiscalité défavorable à l'emploi en France.

L'Allemagne a fait un effort de réduction des charges sociales (qui ne représentent plus que 16,7 % du produit intérieur brut contre 18,2 % en 2002, alors que leur poids reste très lourd en France (18,4 % du PIB), ce qui décourage l'emploi, les investissements directs étrangers.

Si l'on s'arrêtait ici, on serait évidemment tenté de donner l'Allemagne comme modèle à la France. Pourtant, la performance macroéconomique de l'Allemagne n'est pas fondamentalement meilleure que celle de la France, ce qui peut constituer une surprise. De 1998 à 2010, l'emploi total a augmenté en Allemagne de 7 %, de 11 % en France. Le pouvoir d'achat de chaque salarié, lui, a baissé de 1 % en Allemagne, tandis qu'il augmentait de 18 % en France ; la consommation des ménages (en volume) a progressé de 9 % en Allemagne, de 32 % en France ; le produit Intérieur brut (en volume) a crû de 14 % en Allemagne et de 22 % en France ; l'investissement logement des ménages a augmenté de 22 % en France, baissé de 15 % en Allemagne.

La performance macroéconomique globale de la France est donc nettement meilleure que celle de l'Allemagne, malgré les handicaps structurels vus plus haut. Cela vient essentiellement des politiques économiques menées par Berlin. Il y a eu depuis la fin des années 1990 freinage des salaires, très forte déformation du partage des revenus au détriment des salariés et en faveur des profits, ce qui explique la faiblesse de la consommation et le niveau élevé de la profitabilité des entreprises. Il s'agit donc, en Allemagne, d'une politique économique de l'offre caractéristique, y compris dans le domaine fiscal avec le transfert de la pression fiscale des charges des entreprises à la taxation de la consommation (TVA).L'objectif normal d'une politique économique est de maximiser la consommation à long terme. Mais ce n'est pas du tout ce que fait l'Allemagne, puisque la hausse de la part des profits dans le PIB et la fiscalité dépriment la consommation. C'est sans doute l'objectif de la France, avec une hausse des salaires parallèle à celle de la productivité, la hausse de l'endettement, le développement des emplois de services.

La seule interprétation possible des politiques économiques menées en Allemagne est qu'elles visent, non à soutenir la consommation, mais à maintenir une industrie de grande taille montant en gamme, exportatrice, conservant ses parts de marché. Pour cela, il lui faut adopter une stratégie mercantiliste (privilégier l'exportation sur la satisfaction du marché intérieur), qui aboutit à ce que les Allemands travaillent pour que les autres pays où l'Allemagne exporte consomment les produits allemands.



Patrick Artus

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