TOUT EST DIT

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jeudi 16 septembre 2010

L'épargnant n'a pas fini de payer la note de la crise

Normalement, l'épargnant a déjà payé la facture de la crise. Des actions valant à peine plus de la moitié de leurs cours de l'été 2007, des sicav obligataires rémunérées en cacahuètes, des fonds de placement plombés par des produits structurés ou du Madoff… Il y a de quoi déprimer tous ceux qui ont mis de l'argent de côté ces dernières années. Mieux aurait valu acheter de l'or ! Et pourtant, ça risque d'être pire dans les prochaines années. Ceux qui ont prêté de l'argent, d'une manière ou d'une autre, aux particuliers, aux entreprises ou aux Etats n'ont pas fini de payer la note.

Pour comprendre l'enjeu, il faut remonter quelques années en arrière, quand il semblait y avoir un tigre dans le moteur de l'économie mondiale. Depuis 2008, le tigre s'est métamorphosé en boulet. Il empêche le moteur des pays développés de tourner. La mutation ne doit rien à un mauvais sort car le tigre et le boulet sont les deux incarnations de la même réalité : l'endettement. Aux Etats-Unis comme en France, la dette totale a doublé en dix ans. La croissance a été financée à crédit. Il faut maintenant rembourser. Même les plus benêts des prévisionnistes ont commencé à se rendre compte qu'il y avait là comme un problème. D'où la disparition des scénarios où « tout repart comme avant ».

Sur le papier, en regardant les grandes masses, le remboursement semble jouable. Les richesses engendrées dans les pays concernés permettent à la fois de payer ses créanciers et de vivre en se serrant un peu la ceinture. Mais, sur le papier, il n'y avait aucune raison pour que la banque Lehman Brothers fasse faillite. Dans la réalité, il en a été tout autrement. L'économie n'est pas une mécanique ultrafluide. Il y a des à-coups. Il ne faut pas se faire d'illusions : dans les prochaines années, beaucoup d'emprunteurs ne pourront pas faire face. A commencer par les particuliers. Aux Etats-Unis, 11 millions de foyers ont la tête sous l'eau - la valeur de leur maison reste inférieure à ce qu'il leur reste à payer sur leur emprunt immobilier. Au moindre aléa, ils en rendront la clef - comme l'ont déjà fait près de 10 millions d'Américains. En Europe aussi, la persistance d'un chômage élevé va multiplier les situations de surendettement, comme on l'avait vu en France dans les années 1990. Les entreprises auront également du mal à rembourser. Si nombre de vedettes boursières ont profité d'une fenêtre ouverte l'an dernier sur les marchés pour refinancer leurs emprunts, les PME n'ont pas pu saisir cette opportunité. Elles ont parfois des échéanciers qui paraissaient raisonnables avec l'activité des années 2006-2007 et qui deviennent monstrueux avec une production inférieure de 15 % ou 20 %, sans perspective de retour rapide aux niveaux antérieurs.

Les banques ne sont pas toutes en meilleure position. Au pic de la crise, les experts avaient savamment expliqué qu'elles avaient un problème de liquidité, non de solvabilité. Deux ans plus tard, ce n'est plus si sûr. Si les grands établissements paraissent solides en France, des centaines de banques ont disparu aux Etats-Unis. En Irlande, pays jugé exemplaire dans sa réaction face à la crise, Anglo Irish Bank va finalement être démantelé. En Allemagne, plusieurs Landesbanken pourraient être insolvables dans un avenir proche.

Enfin, les Etats restent eux aussi dans une position fragile. Gelé pour trois ans, le problème grec ressortira du congélateur en 2013. Au Portugal et en Irlande, les pouvoirs publics auront du mal à s'acquitter de leurs engagements. Idem en Espagne, si elle ne retrouve pas une croissance solide. Et les agences de notation ont tiré la sonnette d'alarme quant aux finances publiques des pays jugés les plus sûrs - Royaume-Uni, France, Allemagne, Etats-Unis.

Bien sûr, il s'agit de risques et non de certitudes. Mais les risques de défaut sont trop élevés pour qu'on les oublie. Jusqu'à présent, les Etats ont amorti le choc, protégeant ainsi les épargnants. Washington a repris l'intégralité des milliers de milliards de dollars de dettes de Fannie Mae et de Freddie Mac pour rassurer les investisseurs chinois, Paris a volé au secours des constructeurs automobiles, Londres a nationalisé les banques défaillantes, etc. Les finances publiques sont désormais trop serrées pour renouveler ce genre d'exercice en toute liberté. Les prochains gros défauts de paiement, privés ou publics, vont devoir être directement assumés par les prêteurs privés, jusqu'à présent largement préservés des pertes en capital.

Pour sortir de cette crise de la dette, il faudra une nouvelle « euthanasie du rentier », pour reprendre l'expression de John Maynard Keynes. Evidemment, le rentier déteste se faire euthanasier. C'est humain. Le problème, c'est que l'acharnement légitime de l'épargnant à préserver son capital bloque la situation en étouffant son débiteur. On l'a bien vu dans les années 1980, en Amérique latine. A la suite d'une forte hausse du taux d'intérêt, nombre de pays ont fait défaut sur leur dette. Leurs créanciers, des milliers d'établissements financiers américains ou européens, ont refusé de leur faire des concessions au nom des épargnants qui leur avaient confié leurs économies. Asphyxiés par le service de leur dette ou l'absence de nouveaux prêts, les pays ont perdu une décennie. La situation a fini par se débloquer en 1989, quand le secrétaire d'Etat américain au Trésor Nicholas Brady a réussi à faire accepter par les créanciers l'idée d'un « haircut » - une coupe de cheveux -sous la forme d'un capital amputé ou de taux d'intérêt réduits.

Avant la crise, les prêteurs ont gagné trop d'argent. Ils ont encaissé des taux d'intérêt plus élevés que les taux de base, en échange d'un risque qu'ils n'avaient pas perçu. Ils vont devoir désormais perdre trop d'argent. La façon dont ils vont accepter cette perte conditionnera la sortie de crise. Au bout du compte, certains se diront qu'ils auraient mieux fait d'acheter des actions. Qu'ils se rassurent : les actionnaires vont aussi passer chez le coiffeur, quand ils découvriront qu'un monde où les profits montent sans cesse au détriment des salaires n'est pas tenable. Mais c'est une autre histoire.



Jean-Marc Vittori

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