La culture de masse dominante demeure bel et bien américaine.
C'est un livre qui va désespérer les fidèles de l'exception culturelle française et qui va exaspérer les mandarins de la culture élitiste : « Mainstream » (1) est une grosse enquête sur la bataille mondiale de la culture de masse, celle qui veut et qui peut séduire et toucher le plus grand nombre. « Avatar », Lady Gaga, Disney, Warner, « Da Vinci Code », Michael Jackson ou « Desperate Housewives », Bollywood en Inde, Al-Jazeera au Moyen-Orient, autant de symboles, autant de vecteurs de cette culture populaire. Frédéric Martel avait déjà publié « De la culture en Amérique » (Gallimard), un essai détonnant sur l'organisation et le financement de la culture de masse américaine. Cette fois-ci, il a consacré cinq années, 1 250 interviews dans 30 pays pour démonter et comprendre les mécanismes de l'industrie culturelle mondiale.
Inutile d'y aller par quatre chemins, le vainqueur éclatant de cette guerre culturelle, de cette compétition pour le soft power, ce sont les Etats-Unis. Frédéric Martel explique à merveille comment le capitalisme culturel bénéficie de la diversité de la culture de masse américaine, d'un système de financements privés-publics (par le jeu des déductions fiscales) foncièrement décentralisé, infiniment plus inventif que dans notre pays. Il y a bien sûr les géants de l'industrie culturelle américaine, mais aussi le professionnalisme, le renouvellement perpétuel, l'art de la séduction, le goût de l'expérimentation, l'audace et la technicité. On reproche parfois à Frédéric Martel sa fascination pour le modèle américain. A le lire, on comprend ses raisons et on mesure le résultat : la culture de masse dominante demeure bel et bien américaine.
Est-ce à dire qu'elle écrase impitoyablement les autres cultures ? Les choses sont heureusement plus subtiles. Des cultures populaires, des cultures de masse, il en existe en Amérique latine (les fameuses telenovelas ), en Chine, en Inde, dans les pays arabes. Elle se battent avec leurs armes, à des échelles continentales, elles se développent, elles irradient, elles ne craignent pas la confrontation, elles restent parfois hégémoniques dans leur pays, en Inde ou au Japon, d'ailleurs, plus qu'en Chine, ou a fortiori qu'en Europe. Face aux produits culturels de masse qui se déversent par la télévision, par le film et de plus en plus par Internet, c'est notre Vieux Continent qui se défend le plus mal. Non pas que les cultures nationales disparaissent : en France, l'industrie des jeux vidéo fleurit, le cinéma résiste, les musées se réinventent. Faute de langue commune, de financements adaptés, d'entreprises culturelles de taille mondiale en nombre suffisant, l'Europe fléchit cependant devant le mainstream américain.
Cela n'a rien d'irrémédiable. Comme toujours à l'échelle européenne, la solution passe cependant par la volonté politique et par l'esprit d'initiative d'un pays, d'un leader ou d'un commissaire européen. La Grande-Bretagne n'est pas vraiment concernée, puisque sa culture populaire ne se différencie guère de celle des Etats-Unis. L'Allemagne possède avec Bertelsmann une grande entreprise de taille mondiale en matière d'industrie culturelle. Ce sont plutôt les pays latins et les pays d'Europe du Nord et de l'Est qui auraient tout intérêt à chercher les moyens d'une réplique au mainstream américain. La différence de langues est un obstacle, mais l'intérêt est commun. Encore faudrait-il qu'ils se saisissent du problème. La France aurait les ressources politiques nécessaires. Frédéric Mitterrand a lu le livre de Martel.
Alain Duhamel
1. « Mainstream », de Frédéric Martel (Flammarion, 458 pages, 22,50 E).
jeudi 27 mai 2010
La bataille de la culture de masse
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