TOUT EST DIT

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mardi 23 mars 2010

Paysans : mutations infernales


De tous les chambardements nationaux qui - soit dit en passant - déboussolent l’électeur, le plus violent, c’est celui de la terre française. Il aura, en un demi-siècle, décimé les neuf dixièmes de la population paysanne (6 millions de paysans en 1960, 600 000 aujourd’hui). Il aura aboli vingt siècles de traction animale, mécanisé les travaux, infusé la chimie dans les sols et la biochimie dans les champs. Et, du coup, effacé une France multiséculaire où la terre patrimoniale nourrissait l’identité nationale, où la bourgeoisie, encore proche par la parentèle du monde paysan, entretenait la tradition, où la république des notables cultivait un électorat décisif. L’univers rural, en France, fut le soutènement d’un ordre désormais révolu.

Le Salon de l’agriculture, grande messe française, entretient, pour cette France du labourage et du pâturage, une certaine nostalgie nationale. On y voit la pavane d’une glèbe défunte. La grande majorité de ses survivants, submergés par l’urbanisation et la mondialisation des marchés, l’ont depuis longtemps délaissée. Ils ont dû affronter - et tout à la fois dans le courage, l’assistance et la détresse - la première phase d’une immense révolution. Ils voient venir, avec une inquiète espérance, la seconde phase, celle où la terre redeviendrait ce qu’elle fut : un trésor national. Pour l’heure, l’agriculture française tangue au milieu du gué.

Pour éviter le naufrage, l’agriculture française a bénéficié de la fameuse politique agricole commune. Elle fut une assistance vitale et une drogue. L’assistance a permis à nos paysans de rejoindre, pour certaines productions limitées, les champions de l’agro-industrie. Mais la drogue a perverti la production dans la recherche sélective de la subvention. Et bercé, une fois encore, les malheureux paysans d’illusions. Elle fâche tout à la fois nos partenaires européens, les pays pauvres, privés de l’accès à nos marchés, et nos propres industriels, mécontents de nous voir cramponnés à une « diplomatie agricole ». Nous abordons, en somme, avec un certain succès le rendement intensif... mais en luttant pied à pied, et vainement, contre la libération des marchés.

Nous nous sommes engagés à quitter ce Fort Chabrol avant 2013. La suppression des subventions n’épargnerait, sur nos 400 000 exploitations, que 150 000 d’entre elles, assez performantes pour rester compétitives. Mais quid des autres ? Imagine-t-on de sacrifier une population massacrée par le chamboulement mondial ? Et Paris devrait-il réserver sa compassion aux délocalisations de l’industrie, tandis que les naufragés de l’agriculture crèveraient, en parias, dans la résignation nationale ? Nombre de ces survivants ont déjà perdu, l’an passé, jusqu’à 50 % de leurs revenus et mettent la clé des étables sous la porte. Cette détresse indiffère. Ce drame national est oublié. Les paysans disparaissent sans bruit du paysage comme les ormes et les coquelicots.

Aperçoit-on le bout du tunnel ? Non, pas encore ! Du moins sait-on qu’il existe. Il se profile sous deux menaces planétaires qui, l’une et l’autre, pourraient restaurer, chez nous, un trésor national à demi englouti. La première de ces menaces tient, dans les zones pauvres et surpeuplées du monde, à la pénurie alimentaire, avec ses prodromes d’émeutes de la faim : un milliard d’hommes sont aujourd’hui sous-alimentés. Et ce que l’on prévoit de l’eau et des déserts angoisse.

L’on constate déjà qu’après l’ère du pétrole l’or vert excite la boulimie mondiale des nouveaux riches. L’achat de terres est devenu un investissement stratégique : « Achetez de la terre, on n’en fabrique plus... » Les Saoudiens en Indonésie, la Chine en Asie, aux Philippines et en Australie, la Corée du Sud au Soudan, le Qatar au Cambodge, et j’en passe, c’est partout la razzia. La France, Dieu merci ! a de l’espace, de la terre, du savoir-faire. Il lui reste à les protéger, à les tenir pour ce qu’ils seront un jour : un enjeu stratégique national. Et surtout à ne rien brader de ce qui pourrait, dans un monde dangereux, garantir notre indépendance alimentaire.

La seconde menace - celle d’une planète livrée à l’angoisse écologique - inspire à toutes les politiques la défense de l’environnement. Le paysan, dont on ferait volontiers le gardien naturel du sol et de sa biodiversité, est devenu, par ses engrais et pesticides, un pollueur impénitent. D’où cette idée que la PAC, qui voit s’achever sa vocation première, pourrait évoluer afin de maintenir en Europe une agriculture « écologiquement intensive ».

Ne rêvons pas ! Il s’agit là, pour la France, de mirifiques espérances, et les parias de la terre française ne peuvent qu’y deviner le bout du tunnel. Réguler des marchés anarchiques ? Le pouvoir s’y attelle à Paris et à Bruxelles. Mais de si belles perspectives demandent, entre autres, une adhésion européenne problématique. Les paysans piétinent encore bel et bien dans le tunnel. Et il y fait très noir !

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