TOUT EST DIT

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vendredi 15 mars 2013

La France peut-elle être entraînée dans la spirale d'un déclin économique européen ?


Selon un article du Guardian, le Royaume-Uni serait actuellement en plein déclin économique. Ceci serait dû à une production insuffisante pour relancer l'économie et à un défaut d'innovation. Qu'en est-il de la France ?

 Absence de stratégie productive et d'infrastructures, déficit d'innovation : une tribune publiée le 8 mars dans le Guardian accrédite l'idée d'un réel déclin économique britannique. Une idée qui n'est pas nouvelle mais la situation britannique est-elle aujourd'hui particulièrement préoccupante ? Quels indicateurs en attestent concrètement ?

Philippe Moreau Desfarges : Il est vrai que l'on remarque plusieurs signes préoccupants dans l'économie britannique. A long-terme, le handicap le plus grave est clairement, comme vous l'avez mentionné, son déficit d'infrastructures. L'autre problème de taille est évidemment la concentration des richesses et des activités sur la CIty, choix qui n'est pas aussi absurde que l'on peut souvent le décrire mais qui s'avére coûteux dans un contexte de crise économique. Le Royaume-Uni, quel qu'en soit son opinion, appartient à l'Europe de fait et son déclin vient s'inscrire dans le déclin général du Vieux Continent. 
Pierre-François Gouiffès : Il me semble important de regarder ce processus sur longue période. Après un XIXème siècle exceptionnel dans tous les domaines (économique, militaire et diplomatique), le Royaume-Uni connaît tout au long du XXème siècle un déclin relatif quasi continu - notamment par rapport aux Etats-Unis, au Japon, à l’Allemagne et à la France - s’éloignant chaque jour un peu plus de son statut initial de « top dog ».
La situation change après les années Thatcher et jusqu’à la crise de 2008 : 3,2% de croissance annuelle de 1997 à 2007, grâce notamment à l’industrie financière (5% de la valeur ajoutée, 1 millions d’emplois, excédent extérieur supérieur à 1,6% du PIB en 2005).Il apparaît toutefois après coup que ce taux de croissance a été dopé par le déficit public, la hausse de l’immobilier et de la consommation alimentés par le crédit.
2009 est donc une année de choc brutal avec une baisse de PIB de 4% jamais compensée depuis. Les recettes des années 1990 sont mortes, et l’économie se trouvent dans une très grande difficulté marquée par deux tendances angoissantes citées par leGuardian : une « régression » économique liée à la baisse de la productivité, une incapacité à générer des excédents commerciaux quelle que soit la valeur de la monnaie.

Y'a t-il des points communs aux faiblesses britanniques françaises  ? L'Hexagone est-il aussi menacée de déclin ? 

Philippe Moreau Desfarges : Bien qu'ils aient optés pour des stratégies très différentes, la situation des deux pays est comparable, et ce de manière très nette sur au moins deux points :
Tout d'abord le déclin industriel, qui s'est opérée dès le début des années 60 en Grande-Bretagne (environ vingt ans avant la France, NDLR). Si vous analysez l'évolution de secteurs-témoins comme l'industrie anglaise et son équivalente française, on remarque que malgré des choix différents, la situation à l'arrivée est plus ou moins la même. Idem pour les défis à relever.
 Enfin le fait que le poids de l'Etat-providence pèse sur le potentiel économique. Contrairement aux idées reçues sur le libéralisme britannique, le pays a construit au fil du temps un welfare state substantiel qu'il a conservé aujourd'hui. Même Madame Thatcher,connue pour être prête à tout bouleverser, aura quitté le pouvoir sans avoir touché au fameux National Health Service. Comme en France, il s'agit d'un système de santé qui est un lourd facteur de charges économiques, donc de handicap relatif dans la compétition mondiale, la question des déficits publics devenant peu à peu un problème structurel. 
Il y a donc effectivement deux situations de déclin, mais la Grande-Bretagne a aussi fait des choix spécifiques. En optant pour une stratégie d'internationalisation des entreprises, le pays à certes perdu les champions nationaux qui nous sont si chers de ce côté de La Manche, mais a réussi a sauver des niches de l'économie. Aujourd'hui en 2013, il se trouve que le Royaume-Uni ne s'en sort pas merveilleusement, mais que sa situation est dans les faits meilleure que celle de la France.
Pierre-François Gouiffès : De 1890 à 1990 le taux de croissance français a été systématiquement supérieur à celui du Royaume-Uni, jusqu’à deux points de plus pendant les Trente glorieuses. La situation s’est inversée dans les années 1990 en faveur du Royaume-Uni mais sur des bases dont on peut désormais douter du caractère répliquable à l’avenir.
Mais aujourd’hui la France et le Royaume-Uni sont tous les deux dans des situations très difficiles, avec quelques points communs (contribution négative du commerce extérieur à la croissance, perte du AAA) –mais aussi des différences majeures, avec la participation de la France à la zone euro. La très délicate situation britannique prouve d’ailleurs que la récupération par la France de sa souveraineté monétaire - prônée par certains - semble loin d’être la baguette magique permettant de régler tous les problèmes économiques.

La productivité et la capacité d'innovation sont deux problèmes cruciaux de l'économie britannique, qu'en est-il chez nous ?

Philippe Moreau Desfarges : Oui. Ce sont encore deux problèmes à la fois similaires et différents. Les britanniques ont décidés assez tôt de confier l'innovation au secteur privé, qui n'a pas toujours réussi à assumer pleinement son rôle et s'est très vite tourné vers la finance lorsqu'il a perdu sa dynamique originelle. En dépit de ces difficultés le pays a réussi à conserver un savoir-faire, y compris dans l'automobile. Somme toute le Royaume-Uni souffre des insuffisances du secteur privé tandis que la France souffre des insuffisances du secteur étatique.

Est-ce qu’on peut parler d’un déclin commercial et diplomatique ?

Philippe Moreau Desfarges : Oui. Le Royaume-Uni a toujours considéré que sa grandeur, sa force c’était d’échapper à l’Europe, de se déseuropéaniser. Le grand symbole de cela ça a été l’Empire britannique. Mais tout cela est terminé. Le Royaume-Uni inexorablement est revenu vers l’Europe. C’est une forme pas de déclin mais de repli diplomatique et commercial.  C’est vrai que l'ancienne première puissance mondiale n’a plus ce rayonnement d’antan. Cela dit, elle garde un atout non négligeable : la langue anglaise.  Cet atout, que les Français ne veulent pas voir, est formidable pour les Britanniques. C’est le latin d’autrefois, la langue universelle. La langue anglaise les met logiquement très à l’aise dans la mondialisation, ce qui facilite les opportunités.
Pierre-François Gouiffès : Il y a clairement un déclin commercial pour les deux pays mais dans des configurations différentes.
Le Royaume-Uni est depuis longtemps dans une situation de déficit structurel de la balance courante, supérieur quasiment tout le temps à 2% du PIB, un peu à l’instar des Etats-Unis. Le drame actuel relevé par le Guardian est la persistance de ce déficit en dépit d’une dépréciation majeure de la livre !
Le schéma pour la France est un peu différent : la France est passée en une dizaine d’années d’un excédent de la balance courante à un déficit significatif du fait d’une réduction extrêmement rapide de ses parts de marché à l’exportation sur tous les marchés (Union Européenne, OCDE, monde).

Finalement est-il possible d’en sortir et comment ? Est-ce qu’on est dans quelque chose de conjoncturel à savoir une tendance lourde de déclin ou est-ce passager ?

Philippe Moreau Desfarges : On est dans une tendance lourde dans la mesure où le Royaume-Uni et tous les pays européens ont un même défi : comment vont-ils s’adapter à la mondialisation ? Etant entendu qu’ils comprennent bien qu’ils sont des vieux pays, avec des structures lourdes, il faut qu’ils parient sur des stratégies de niche. Il faut qu’ils soient présents sur des marchés bien précis. On voit bien que tous les pays européens sont devant ce problème fondamental de réadaptation à la mondialisation. Est-ce un déclin ou pas ? Tout dépendra de leur capacité à s’adapter. 
Hélas nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés, du fait de nos structures, d’établir des stratégies dans des domaines à haute valeur ajoutée. Il faut donc que l’on sorte des produits de masse pour peu cher. De ce point de vue l’automobile européenne comme industrie de masse, c’est fini. Le Royaume-Uni, malgré ses échecs, n’est pas si mauvais que cela. Le drame du Royaume-Uni c’est qu’il n’est pas aussi libéral qu’il ne devrait l’être.  Un exemple, le Royaume-Uni avait pour tradition d’être un pays ouvert au migrant, il est en train de se fermer, ce qui est très critiqué. Mais s’il y a déclin du Royaume-Uni c’est seulement à l’échelle européenne. Mais aussi le Royaume-Uni a déjà tous les atouts aujourd’hui : des compétences financières considérables et une sorte de résilience, de ténacité face à la crise.
Pierre-François Gouiffès : Le pire n’est jamais certain même si l’Occident - le monde OCDE dans son ensemble - est aujourd’hui face à un challenge inédit depuis plus de deux siècles de la part des grands émergents en phase de rattrapage économique rapide.
Dans l’Occident, on voit toutefois apparaître une importante différenciation de situation entre plusieurs types de pays : les pays qui souffrent beaucoup et qui sont d’ailleurs les plus nombreux (Europe du Sud, Royaume-Uni, France),  les pays qui s’en sortent beaucoup mieux (grosso modo l’Europe du Nord au sens large), les Etats-Unis étant dans une situation spécifique notamment du fait de la taille de leur économie et du rôle mondial du dollar.
La situation parfois brillante des pays d’Europe du Nord en termes de croissance et de performance commerciale montre qu’il est possible de s’intégrer dans la mondialisation sans remettre en cause les fondements de son modèle social. La bonne question est de savoir si cela est possible à tout le monde.

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