TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mercredi 27 mars 2013

Capitale Berlin : la crise chypriote achève-t-elle la prise de contrôle de l’Allemagne sur l’Europe ?

Grâce à sa crédibilité économique et à l’inertie de ses partenaires européens, l'Allemagne est en mesure d'imposer sa politique à la zone euro. Tout cela au risque de réveiller la germanophobie sur le vieux continent.
Dans un article paru le 26 mars, le journal britanniqueFinancial Times affirme que le fiasco chypriote qui a précédé le plan d'urgence pour aider le pays a révélé la position hégémonique de l'Allemagne. Cette domination de Berlin pourrait aussi s'expliquer par l'absence de politique claire de la part des autres pays, notamment de la France. François Hollande désapprouverait la politique d'austérité prônée par Berlin tout en ne proposant aucune alternative. La France connaît-elle un passage à vide dans sa politique européenne ?

Jean Quatremer : La France est ambigüe dans sa politique européenne. Elle souhaite une Allemagne solidaire, mais elle n'est pas prête à payer le prix de cette solidarité, ie des transferts de souveraineté. La position française en Europe est totalement inaudible. Les Allemands savent eux ce qu'ils veulent : une solidarité financière à condition de contrôle démocratique, ou une solidarité financière minimale à condition d'austérité. Soit la France accepte le saut fédéral, soit elle n'exige pas de l'Allemagne plus de solidarité.
Par ailleurs, la France est perçue comme un pays affaibli économiquement, avec des comptes déséquilibrés, et handicapé par un énorme problème de compétitivité. Elle n'a pas beaucoup de leçons à donner à l'Allemagne ou au reste de l'Europe. Tant qu'elle n'aura pas regagné son rang, elle ne pèsera pas dans le débat économique et budgétaire. Il y a un problème de crédibilité à la fois politique et économique, et cela remonte au mandat de Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui c'est  flagrant car Hollande refuse de suivre la chancelière comme le faisait son prédécesseur.
Philippe Moreau-Defarges :  L'épisode de Chypre a révélé une erreur profonde de gouvernance européenne, due à un manque de compétence. Les Allemands ne voulaient pas payer pour sauver les banques. Ils voulaient qu'elles fassent faillite car elles étaient insolvables, tout cela pour éviter les erreurs faites en Grèce. 
L'Hexagone apparaît comme un élève médiocre à qui on mettrait la mention "peut mieux faire". Il ne propose pas une réelle vision. Il faudrait que la France propose une combinaison d'un assouplissement de la rigueur allemande  et de réformes structurelles adaptées à la mondialisation. Aujourd'hui, l'Hexagone apparaît comme un pays qui rejette cette dernière, alors que Berlin en vit, comme le Royaume-Uni.
Sylvie Goulard : Du côté de François Hollande, il y a eu la volonté de se défaire de la politique de son prédécesseur, ce qui l'a amené à réduire l'intensité des contacts avec Merkel. Vue du Parlement européen, la France n'est pas vraiment présente en ce moment. Il y a beaucoup d'invocation d'idées parfois assez justes (comme la nécessité de la croissance à côté de l'assainissement) mais dans la partie proposition, il y a peu de résultats concrets qui ont été obtenus. La France est à la table des négociations, mais sur le pacte de croissance le président de la République n'a pas joué toutes ses cartes.
La France n'a pas été claire sur l'Europe qu'elle veut. Pourtant elle a un rôle à jouer dans le dialogue. Elle est le seul pays qui a une relation traditionnellement privilégiée avec l'Allemagne, et considérée à certains égards comme proche des pays du sud.
La France hésite entre Europe fédérale et garder sa souveraineté, ce qui l'empêche d'avoir du leadership.

Du fait de son poids économique dans l'UE – elle est la première puissance économique de l'Union européenne et de la zone euro –, l'Allemagne est-elle en mesure de dicter seule ses règles ?

Michel Aglietta : L'Allemagne pousse pour l'austérité dans les autres pays. Elle a une doctrine très restrictive vis-à-vis des ajustements économiques à faire. Ses conséquences sont plutôt négatives et elle ne permet par de résoudre les problèmes qu'on voulait résoudre.
C'est là que la force économique de l'Allemagne intervient : Berlin est le créancier du reste de l'Europe. Du fait de ses excédents budgétaires, l'Allemagne est en position de force.
Philippe Moreau-Defarges : L'Allemagne est la puissance dominante au sein de l'Union européenne. Il y a trois raisons qui peuvent l'expliquer. Premièrement, le pays réussit, sa balance commerciale est excédentaire, il a réussi sa réforme économique.
Deuxièmement, l'Allemagne a une vision, sans doute contestable, mais précise de l'UE. Elle veut remettre en ordre les finances publiques.
 Troisièmement, Angela Merkel est une forte personnalité. L'Allemagne réunit beaucoup d'atouts alors qu'une partie de ses partenaires européens accumule les faiblesses. Elle arrive à convaincre les autres parce que ces derniers n'ont pas grand-chose à proposer, pas parce qu'elle assumerait le financement de l'UE.

Comment la France peut-elle être crédible en disant qu'elle veut une politique plus généreuse, plus souple alors qu'elle-même ne fait pas de réformes ?  La force de Berlin ne s'explique pas seulement par les atouts de l'Allemagne, mais par la faiblesse des autres.
Sylvie Goulard : Il ne faut pas se plaindre du poids de l'Allemagne sans proposer d'alternatives. Par exemple, c'est Merkel qui a été tenue pour responsable de la réduction du budget européen. Or ce dernier se décide à l'unanimité.  

L'Allemagne a-t-elle vraiment besoin d'alliés dans l'UE ?

Jean Quatremer : L'Allemagne n'a pas besoin d'alliés. Elle arrive à imposer ses vues sans. C'est terrible car cela signifie que la France est marginalisée. C'est aussi un problème pour l'Allemagne car son comportement est ressenti par ses partenaires comme hégémonique, un pays qui ne tolère aucune contradiction. Cela risque de poser très rapidement un problème géopolitique à  l'Allemagne car en Europe, 70 ans après la Seconde Guerre mondiale, personne n'est prêt à accepter un tel leardership allemand.
La politique allemande depuis 70 ans vise à éviter d'éveiller l'animosité à ses frontières mais je crains hélas que les Allemands n'aient pas conscience qu'ils doivent renouer avec leur partenaire français et trouver le moyen de ne plus apparaître comme cette puissance arrogante qu'elle semble être (re)devenue.
Du temps du couple Merkozy on avait le sentiment que c'était un duopole qui dirigeait l'Europe, mais ce n'était pas du tout le cas. A l'époque, parce que la politique européenne de la France manquait de clartéc'était déjà la chancelière qui imposait ses conceptions en matière économique et budgétaire. Aujourd'hui François Hollande refuse de soutenir la chancelière comme le faisait Nicolas Sarkozy, la domination de l'Allemagne apparaît donc plus brutale encore, alors que ça a toujours été le cas.
Michel Aglietta : Le gouvernement allemand est tiraillé entre deux tendances : l'Allemagne a besoin de l'Europe, mais aussi que l'espace économique reste suffisamment stable pour sa propre prospérité. Elle a donc besoin de ses partenaires. D'un autre côté, l'opinion allemande est très hostile à l'idée de payer pour les autres.
Angela Merkel tente donc de rester dans une position médiane. Les élections allemandes ont lieu bientôt, et le gouvernement n'a pas forcément intérêt à rechercher un accord ambitieux pour une unité politique européenne plus forte. Le débat politique est donc paralysé jusqu'aux élections. Mais il semble que l'enjeu fondamental pour l'Allemagne soit de conserver l'euro et ils font un minimum pour que la monnaie survive.   
Philippe Moreau-Defarges : L'Allemagne a besoin d'alliés, et elle en a. D'abord le Royaume-Uni. Le couple anglo-allemand pourrait bien d'ailleurs prendre la place du couple franco-allemand. Elle a aussi les pays nordiques de son côté. Il y a autour de Berlin un camp de la rigueur. L'une des difficultés actuelles, c'est que l'autre camp, le méditerranéen, celui favorable à la dépense ou à la souplesse n'est pas très crédible. Face à une vision allemande assez raide et fermée, il n'y a pas de vision alternative crédible.
D'ailleurs, il n'est pas impossible que certains pays changent de camp : c'est un jeu d'alliances.    
Sylvie Goulard: L'Allemagne n'a aucun intérêt à adopter une position hégémonique, elle en serait la première victime. Il y a actuellement une remise en cause injuste et dangereuse : Angela Merkel a été qualifiée de nazie, ce qui est scandaleux.
Plusieurs observateurs ont affirmé que l'ancien président Nicolas Sarkozy aurait cédé à la chancelière Angela Merkel dans les négociations sur l'avenir de la zone euro, notamment sur les questions financières (eurobonds, conditions de renflouement,...). A quelles conditions Berlin peut-elle accepter un assouplissement des efforts de rigueur et d'austérité ?

Michel Aglietta : Il faudrait qu'il y ait une autorité politique européenne, une intégration suffisamment poussée pour que l'Allemagne accepte un partage de souveraineté.

Philippe Moreau-Defarges : L'Allemagne est convaincue qu'elle a raison, car les autres n'arrivent pas à lui faire valoir des bons arguments. Le pays est très marqué par son expérience (hyperinflation de 1923, nazisme, après-guerre…). Elle a une sainte horreur de l'inflation, du manque de rigueur…  Elle peut dire qu'elle a été divisée, a accepté la réévaluation régulière du mark et digéré l'Allemagne de l'Est soit près de 20 millions d'habitants. Comment la convaincre alors que la France propose plus de fonctionnaires ?

La rigueur prônée par l'Allemagne depuis le début de la crise de la zone euro ne va-t-elle pas atteindre ses limites, alors que les résultats se font attendre (notamment au Royaume-Uni et en Grèce) ?

Michel Aglietta : Il faudrait faire un audit des politiques d'austérité qui ont maintenant trois ans. Elles n'arrivent pas du tout à relancer économie. La notion austérité/croissance, hypothèse sur lesquelles ces politiques ont été menées ne marche pas. Il faut maintenant se dire qu'il est nécessaire de retrouver un chemin de croissance, et qu'ensuite on consolidera les dettes publiques.
Mais nous ne sommes pas dans une situation normale, on est sous le coup dans une crise financière  qui fait que le secteur privé n'a pas le dynamisme pour remplacer le secteur public. Mais manifestement les Allemands n'ont pas pris la dimension de la crise que subissent d'autres pays dans lesquels les acteurs privés veulent se désendetter, ménager les entreprises, et ne souhaitent pas encore relancer l'investissement et la dépense. Cela peut s'expliquer par le fait que la crise n'a pas été aussi importante chez eux.
Les Allemands sur-déterminent l'importance des dettes publiques alors qu'il y a d'autres problèmes économiques très profonds comme les effets de la crise sur le secteur privé. On fait donc comme si l'économie pouvait supporter l'austérité, faire baisser les dettes publiques et on s'enfonce dans le marasme économique.     
Philippe Moreau-Defarges : Il est vrai qu'il y a beaucoup d'hypocrisie de la part de l'Allemagne, qui bénéficie très largement de l'UE, et qui a bénéficié très largement de la Grèce. Quand on a un partenaire aussi fermé et aussi raide, on ne le fait pas bouger en un jour.
La France doit se réformer de l'intérieur, et trouver des alliés crédibles – ce qui n'est pas le cas de ses alliés actuels comme l'Italie. Il est illusoire de croire qu'en condamnant l'Allemagne pour sa rigueur. Il faut de la patience. L'attachement de la France à l'Etat-providence, à la dépense publique, la méfiance envers les riches sont contre-productifs.  
La véritable réflexion doit tourner autour de la question : les Etats européens pourront-ils payer leur dette ? Probablement pas.

0 commentaires: