TOUT EST DIT

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vendredi 30 novembre 2012

Pourquoi les Mittal n'ont pas peur des Français

"Ce serait génial d’avoir une image positive en France." Aditya Mittal nous reçoit à Londres dans son bureau du septième étage plongeant sur Berkeley Square. Oui, génial, "mais pas au prix de prendre les mauvaises décisions", poursuit le numéro deux d’Arcelor Mittal, au sourire ultrabright. Le message est clair.
Les Mittal, actionnaires à 41 % du groupe né de la fusion en 2006 de Mittal Steel et d’Arcelor, ne comptent pas se laisser intimider. Jamais rien ni personne n’a empêché Lakshmi, le père, et son fils, Aditya, de mener leurs opérations comme ils l’entendaient. Le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, peut bien les menacer d’une nationalisation, d’un contrôle fiscal "astronomique" : les Mittal ne rallumeront pas les hauts-fourneaux de Florange. L’"ogre financier" (dixit Montebourg) Lakshmi Mittal avait expliqué aux Français en 2006 qu’ils ne devaient "pas avoir peur de lui". Aujourd’hui, il prouve, en tout cas, qu’il n’a pas peur des Français.

Esprit de caste
Il est vrai que Mittal pointe au deuxième rang des fortunes britanniques, avec 16 milliards de dollars en poche. Les murs de son bureau, qui jouxte celui d’Aditya, sont tapissés de fort jolis tableaux. Ici, deux Fernand Léger. "C’est ma femme qui fait la décoration", se dédouane-t-il. Et le Picasso du palais familial de Kensington Gardens ? C’est elle aussi. Il y a également dans la collection des aquarelles de… Vanisha Mittal, sa fille, qu’il maria en 2004 entre Versailles et Vaux-le-Vicomte.
Fête mémorable, à 55 millions de dollars. "C’est une allégorie de la croissance de notre business !" s’émerveille le patriarche en montrant les scènes traditionnelles de marché croquées par sa fille chérie. Voilà qui résume bien l’état d’esprit des Marwaris. Alain -Davezac, à Arcelor au temps de l’OPA et parti chez les Ruia, d’autres Marwaris, décrit ainsi cette sous-caste indienne de petits marchands émigrés du Rajasthan pour faire des affaires : "Toujours en famille et pour seul horizon, l’argent."
Assurance à toute épreuve
Résultat, chez ArcelorMittal, les Mittal sont partout. Lakshmi est président et directeur général, malgré sa promesse de ne pas cumuler les deux fonctions. Usha n’a plus de poste officiel, mais elle seconda longtemps son mari et fut administratrice jusqu’en 2004. Un ancien se souvient des conventions des cadres : "Elle s’asseyait à côté de Lakshmi et lui glissait à l’oreille son sentiment sur chacun de nous." Le fils, Aditya, 36 ans, est directeur financier et tient les rênes de l’Europe, en perte. Sa sœur -Vanisha, 32 ans, siège au board et assure la direction de la stratégie d’Aperam, spin-off d’ArcelorMittal, dont Lakshmi a gardé 41%.
Un esprit de caste qui donne une assurance à toute épreuve. Un partenaire le résume ainsi : "Ils pensent qu’ils ont la baraka et que rien ne pourra jamais leur arriver." C’est à partir de 1989 que Lakshmi, alors âgé de 39 ans, révèle sa vraie nature de joueur invétéré. Il tient alors depuis dix-huit ans Ispat, une petite usine d’acier montée en Indonésie avec son père, Mohan. Il en sort 300.000 tonnes par an (100 millions aujourd’hui). Le gouvernement de Trinité-et-Tobago lui propose alors de reprendre l’un de ses fournisseurs de fer, en perdition malgré les 400 millions de dollars d’investissement. Lakshmi fonce.
"Le Kazakhstan est devenu notre vache à lait"
En 1992, rebelote au Mexique. L’Etat privatise une unité où il a investi 2,2 milliards en pure perte. Même pas peur : Lakshmi signe encore. En 1994, le Canada, puis l’Allemagne. L’Europe de l’Est, sortie du giron soviétique, lui tend à son tour les bras. Lakshmi plonge : Roumanie, Ukraine… Sa plus grande difficulté ? Les syndicats. Déjà. "Dans une entreprise publique, chaque syndicaliste croit qu’elle lui appartient. Il faut changer leur état d’esprit. Et ce n’est pas simple."
Mais c’est au Kazakhstan que l’opération est la plus délirante. "Un moment vraiment fascinant dans ma vie", dit tranquillement Lakshmi. "C’était une décision folle et courageuse, mais qui s’est avérée très judicieuse." Il envoie un fidèle, Malay Mukherjee, s’installer à Temirtau, où l’autrichien Voestalpine et l’américain US Steel se sont déjà cassé les dents. Un ancien de l’acier en convient : "Personne ne voulait y aller, beaucoup trop risqué et mafieux, mais Lakshmi est gonflé."
Du jour au lendemain, il se retrouve à la tête d’une armée de 80.000 ouvriers kazakhs… et de toute la ville : 250.000 habitants et leurs infrastructures ! Son homme de main, Malay Mukherjee, est fier du résultat : "En trois ans, on est monté à 3,5 millions de tonnes, le Kazakhstan est devenu notre vache à lait."
Un groupe au bord du gouffre en 2000
Entre-temps, Aditya est entré dans la danse. Son père l’a appelé aux affaires un an tout juste après son diplôme. Le fiston en rigole : "Il me voyait tous les matins quitter la maison pour aller travailler ailleurs, au Credit Suisse. Cela devait le frustrer." Explication du père : "Je l’aimais tellement !" Aditya, lui, se souvient : "Il savait que je voulais absolument travailler pour une société cotée. Lui n’en était pas totalement convaincu. Mais il m’a proposé de venir pour mener l’introduction en Bourse. Je ne pouvais pas dire non."
C’était en 1997, Aditya avait 21 ans. Ce faisant, il obtient de son père la première dérogation aux règles des affaires marwaries : il ouvre le capital d’Ispat. Pas fous, les Mittal en gardent 88 % et quelques actifs, dont le Kazakhstan, en or massif, dans un véhicule privé, LNM. Une proche de la famille précise : "De toute façon, aucun investisseur n’aurait parié sur Ispat avec le Kazakhstan."
C’est pourtant ce pari fou qui va sauver les Mittal de la banqueroute. En 2000, la crise pointe et le cycle de l’acier s’inverse. Aditya se rappelle : "44% de l’acier américain était en faillite. Et nous étions au bord du gouffre." Lui qui projetait de couler des jours tranquilles avec sa jeune épouse à Boston, pour y obtenir la consécration, un MBA à Harvard, n’hésite pas. "Je ne pouvais pas quitter l’entreprise dans une telle situation.
"Ils ont des couilles en bronze !"
L’action est à 1 dollar, contre 27 en 1997. Philippe Capron, alors directeur financier d’Usinor, se souvient d’Aditya, ce gamin tentait de lui vendre 50 % d’une entité obsolète à Chicago, Inland Steel, achetée en 1998 deux fois trop cher. "Il n’a jamais montré son désarroi, alors qu’ils frôlaient la catastrophe. » Et de conclure : "Ils ont des couilles en bronze !"
Car les Mittal n’ont peur de rien. « Surtout pas de jouer avec l’argent des banques », ajoute Philippe -Capron. Pour éviter la débâcle, Lakshmi et Aditya fusionnent Ispat avec LNM, le Kazakhstan et son milliard de dollars de cash. Mittal Steel est né. Et, la conjoncture aidant, les voici prêts pour un nouveau coup de poker. Cette fois, c’est Aditya qui part en chasse.
Sa proie : Arcelor. Le géant fabrique ce dont Mittal rêve : des aciers à haute valeur ajoutée dans les pays développés. Et fin 2005, les deux sociétés se battent pour une affaire ukrainienne, Krivoï-Rog. Mittal l’a emportée, mais, aux dires d’un proche des négociations, "il a payé 1 milliard de plus à cause des surenchères d’Arcelor". Un Mittal ne se fait pas extorquer. Aditya invite donc Guy Dollé, patron d’Arcelor, et Alain Davezac, son contact au sein du groupe européen, dans le palace paternel pour tâter le terrain. Le Français demande à réfléchir et quitte les Mittal dans la bonne humeur.
Une confiance aveugle
Deux semaines plus tard, le 25 janvier 2006, Arcelor rafle le canadien Dofasco au nez des Mittal. Lakshmi félicite Dollé au téléphone. Beau joueur ? Vingt-quatre heures après, il le rappelle : "Nous lançons une OPA hostile sur Arcelor demain." Totale surprise. Thierry Breton, alors ministre de l’Économie, s’en étrangle encore : "Ils n’avaient aucun plan stratégique !" Les Mittal mettront six semaines à pondre leur projet industriel, mais seulement "quelques heures, en tête à tête, pour augmenter leur offre de 40%, se rappelle leur banquier de l’époque, Yoël Zaoui, et débourser 30 milliards de dollars pour Arcelor.
Ce faisant, les Mittal perdent une large part du contrôle sur la société issue de la fusion, passant à 45 % du capital. Une nouvelle entorse aux lois marwaries… Mais Lakshmi est prêt à tout pour son fils. Il l’admet bien volontiers : "J’ai toujours eu beaucoup de banquiers et d’avocats pour me conseiller, mais je n’aime pas trop les écouter. Chacun a ses propres intérêts, ses priorités. Alors qu’Aditya, je lui fais entièrement confiance."
Une confiance méritée. Deux ans après la fusion, en 2008, l’action ArcelorMittal vaut 100 dollars. Et la perte de contrôle est toute relative. "Les Mittal sont revenus sur toutes leurs promesses", déplore Thierry Breton. Malgré des gages visibles de transparence et de bonne gouvernance, Lakshmi et Aditya ont les pleins pouvoirs. D’anciens membres de la direction parlent d’un « conseil d’administration qui n’est là que pour applaudir le tandem Mittal ». D’autres évoquent le comité exécutif composé de « carpettes » dans « un régime de vassalité ». Des jaloux ? Sans doute. Mais l’influence grandissante d’Aditya auprès de son père transparaît. Lakshmi l’avoue : « Je ne peux pas m’entourer que de béni-oui-oui. Aditya est très indépendant et me défie. »
Car Aditya veut à son tour conquérir le monde. Lakshmi le charge des fusions et acquisitions. Il ne se fait pas prier. Mais n’a pas le flair paternel. Il investit dans des tas d’installations crapoteuses. Des mines, notamment, au Liberia ou au Canada. Les experts l’assurent : ils mettront dix ans à en tirer le premier centime. Mais rien n’arrête Aditya. En 2007, il mène 35 acquisitions… En 2008, il étudie un rapprochement avec le géant Rio Tinto. L’éclatement de la crise le stoppera net. ArcelorMittal est endetté à près de 30 milliards de dollars, qu’Aditya a financés à trop court terme.
En janvier 2009, les Mittal lancent une importante augmentation de capital qui leur fait perdre encore quatre points de contrôle. Un nouveau sacrifice de Lakshmi le Marwari sur l’autel d’Aditya l’apprenti… Aujourd’hui, ArcelorMittal porte encore 23 milliards de dettes et son cours de Bourse a été divisé par deux depuis trois ans.
Indien, il ne l'est que sur son passeport
L’Inde est aussi à inscrire au passif du rejeton. Car Mittal n’a d’indien que son passeport. Point de haut-fourneau dans son pays d’origine, pourtant promis à une consommation d’acier exponentielle. Des années qu’ils annoncent leur implantation à Karnataka, puis à Orissa et Jharkhand. Et puis… rien. Malay Mukherjee en donne son interprétation : "Ils n’ont pas été assez modérés. En Inde, il faut démarrer par les autorités locales, les habitants. Un accord gouvernemental ne suffit pas." Mais Malay s’est heurté à Aditya, partisan d’une entrée par le haut. Et Lakshmi a tranché. Mukherjee le fidèle est parti. "En très bons termes", dit-il. Bien qu’il se soit réfugié chez les Ruia… autres Marwaris qui font de l’acier en Inde.
Un ancien le craint : "Son admiration aveugle pour son fils pourrait le perdre." D’autant que Lakshmi, 62 ans, le promet à sa succession. Lorsqu’on lui pose la question, son large sourire se crispe : "Je resterai aux commandes aussi longtemps que le Conseil estimera que j’y suis utile." Discours corporate qui ne lui ressemble pas… D’ailleurs, vite, il ajoute : "Aditya ne serait pas un bon candidat. Il serait un candidat génial pour me succéder !" Les Mittal ne doutent de rien. Surtout pas d’eux-mêmes.

ALLEZ EXPLIQUER ÇA À NOTRE MOUCHE À MERDE MONTEBOURG 

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