Alors que la Cour publiait un rapport incendiaire sur la gestion de l’école, les députés de la commission des Affaires culturelles mettaient sur le gril, jeudi 22 novembre, deux figures de Sciences-Po : Jean-Claude Casanova, 78 ans, président du conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, qui supervise les finances, et l’ex-banquier Michel Pébereau, 70 ans, dont vingt-quatre années à la tête du conseil de direction qui fixe la politique de formation. La mise en cause de ces personnalités, qualifiées de "papys flingueurs" par la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, illustre l’importance de la crise qui secoue l’institution, huit mois après le décès de son charismatique mais autocratique directeur, Richard Descoings.
Victimes collatérales
Si le contenu du rapport avait déjà fuité depuis l’été, le suspense portait sur d’éventuelles poursuites devant la cour de discipline budgétaire et financière. Finalement, les magistrats ont bien décidé de transmettre le dossier au vu des irrégularités constatées : système opaque et non maîtrisé de rémunération des cadres et de l’ex-directeur (dont le salaire annuel est passé de 315.000 à 537.000 euros en cinq ans), non-respect du code des marchés publics, utilisation excessive de cartes bancaires, carences dans la gestion des logements de fonction… La procédure devrait prendre des mois, voire des années, et déboucher, au pire, sur des amendes. Mais elle a déjà fait des victimes collatérales.
Tout d’abord, Hervé Crès, ex-bras droit de Descoings et successeur désigné par les conseils de Sciences-Po, ne sera pas nommé. Geneviève Fioraso a mis son veto. Officiellement, le directeur des études serait impliqué, selon la Cour, dans la gestion laxiste des enseignants. Officieusement, Crès paie l’opacité du processus de nomination mené par Casanova et Pébereau, qui ont voulu à tout prix imposer leur poulain. "Cette crise va au moins permettre d’en finir avec l’omerta des conseils, cet “entre-soi” emblématique du fonctionnement à la française des organes de surveillance", témoigne un ex-dirigeant de la maison. De plus, Crès, désigné candidat de justesse après des débats houleux en interne, était loin de faire l’unanimité.
Plus généralement, la direction de l’école sort fragilisée de ce conflit. Des cadres haut placés, aux ressources humaines, à l’information scientifique, sont indirectement visés par la Cour. "La capacité d’impulsion de la direction, qui faisait la force de Sciences-Po, est affaiblie ainsi que son poids face au personnel académique", poursuit cet ancien cadre. Plusieurs enseignants et chercheurs ont d’ailleurs pris la tête d’une fronde interne, publiant une pétition et organisant, en lien avec certains syndicats, une assemblée générale le 27 novembre.
Les 150 à 200 personnes présentes (étudiants, enseignants-chercheurs, personnels administratifs) ont adopté une motion réclamant la démission de Casanova et Pébereau. Entre-temps, une contre-pétition, signée par les économistes Etienne Wasmer ou Jean-Paul Fitoussi, appelle aussi à une gestion exemplaire, mais demande le respect des mandats des dirigeants et de l’indépendance de l’école.
Une vraie crise de croissance
La sacro-sainte autonomie de Sciences-Po a pris un coup avec le rapport. La ministre compte imposer, comme le demande la Cour, la présence d’un ou deux représentants de l’Etat au conseil d’administration. Fini, le temps où le directeur allait réclamer ses subventions directement à l’Elysée, court-circuitant le ministère. C’est aussi Geneviève Fioraso qui a choisi le nouvel administrateur provisoire : Jean Gaeremynck, un conseiller d’Etat de 59 ans, ancien directeur de cabinet de Pierre Méhaignerie au ministère de la justice. Une personnalité peu médiatique et extérieure à l’école même s’il en est diplômé. Il devra mettre en œuvre les réformes les plus urgentes, notamment renforcer le contrôle des obligations de service des professeurs, adapter les statuts de Sciences-Po et préparer, de manière plus transparente, la nomination d’un nouveau directeur dans les deux mois.
Ce dernier devra s’adapter à la nouvelle donne financière. Car la politique ambitieuse de Descoings a été financée par une hausse de 46 % des subventions publiques depuis 2005: elles vont atteindre 78 millions d’euros en 2012, soit, encore, plus de la moitié des recettes.
Mais, crise budgétaire oblige, les dotations de l’Etat et des élus locaux devraient être gelées. Les frais de scolarité, qui varient selon les revenus et ont déjà été augmentés en 2009, pourront difficilement grimper à nouveau. Or Sciences-Po fait face à de fortes charges financières liées à ses achats immobiliers. Et doit gérer un personnel administratif jugé trop étoffé (1 salarié pour 11 étudiants, contre 1 pour 19 à Paris-Dauphine), dont les salaires ont progressé plus vite que ceux de la fonction publique. Enfin, le développement de campus en régions, réalisé sans l’accord du ministère, devra sans doute être modéré.
"Sciences-Po devait entrer dans une période de stabilisation et de renforcement, a assuré Jean-Claude Casanova. Nous avions décidé de stopper la croissance du nombre d’étudiants, puisque nous étions passés de 3.000 à 12.000." Bien sûr, les acquis de l’ère Descoings, en termes d’internationalisation et de qualité de l’enseignement, ne sont pas remis en cause. D’ailleurs, lors de la journée portes ouvertes du 24 novembre, 6 000 étudiants et parents se pressaient pour écouter David Colon, le responsable du campus parisien. "J’aurais aimé vous souhaiter la bienvenue au nom de notre directeur, mais nous n’en avons pas", a-t-il lancé, l’air détendu, voyant que son école reste très populaire auprès des étudiants. Quant à Michel Pébereau, il a fait savoir ce jeudi 29 novembre qu'il ne rempilerait pas pour un nouveau mandat en 2013.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire