"Le poison de la jalousie" ("L’Express"), "La guerre des dames" ("Le Nouvel Observateur"), "Le trio infernal" ("Marianne") : ces hebdomadaires n’y sont pas allés de main morte, localisant carrément l’Elysée "au centre d’un triangle des Bermudes politico-amoureux". Certes, l’intrusion de la vie privée dans l’agenda médiatico-politique ne date pas d’hier. Ce vieux tabou journalistique français a définitivement sauté à partir de 2007 : avec un début du quinquennat de Nicolas Sarkozy qui coïncida avec son divorce. Et, l’an dernier, les "affaires Strauss-Kahn" n’ont que renforcé cette tendance. Il n’empêche, jamais avant cet été 2012 la chronique de la Ve République n’avait à ce point singé "Les Feux de l’amour" : l’ineffable série télé américaine.
"Désormais, cela nous regarde aussi", justifia, fin juillet, "L’Express". Pour qui, depuis l’ère Sarkozy, "les tourments de l’âme sont devenus l’une des clefs de l’histoire officielle". Dans le cas d’espèce de François Hollande, tout comme "on ne pouvait comprendre Nicolas Sarkozy sans mettre son début de mandat en perspective avec sa vie privée" (dixit la journaliste Catherine Nay), on ne pourrait décrypter son successeur en faisant abstraction de sa vie privée.
Car le fameux tweet "a été sa première faute politique. C’est Valérie Trierweiler qui dérape, mais c’est la responsabilité de François Hollande qui est engagée", selon la journaliste Anna Cabana, coauteure d’"Entre deux feux" (éditions du Seuil). Car ce tweet a été "un fait politique majeur : il a fait s’écrouler tout ce que François Hollande avait construit pour son image, sa façon d’être, et sa manière de se présenter à l’électeur", a renchéri, lundi soir, le directeur de "Marianne", Maurice Szafran.
Selon qui, dès lors, journalistiquement, il est parfaitement légitime d’informer le public des tenants et aboutissants de ce gazouillis et, au-delà, de la manière dont le Président gère et a géré sa vie privée. "On ne raconte que ce que le lecteur est en droit de savoir", selon Maurice Szafran. "L’inimitié entre Ségolène Royal et Valérie Trierweiler a pesé sur la vie politique, et a influé sur la présidentielle", d’après le journaliste Sylvain Courage, auteur "L’Ex" (éditions du Moment) : "C’est la réalité; il faut donc la décrire." "La presse française se rapproche des standards anglo-saxons, et c’est une bonne chose", pour son confrère Jean Quatremer. Qui, en évoquant dès 2007 les mœurs de Dominique Strauss-Kahn, fit figure de précurseur de cette évolution.
Cette "ère nouvelle pour la presse" (dixit Pierre Haski, dirigeant du site Web d’info Rue 89), outre qu’elle s’est spectaculairement réaffirmée cet été, s’accompagne, à l’occasion, d’actes de contrition.
"En refusant de montrer les liens réels entre vie privée et vie publique, nous, journalistes, avons longtemps été lâches", s’est flagellé Maurice Szafran, lundi. "Les journalistes n’ont pas fait leur boulot, et moi le premier", a acquiescé l’ex-journaliste (à présent député) Noël Mamère. Ce qu’a nuancé Catherine Nay - qui écrivit beaucoup sur François Mitterrand, mais sans jamais mentionner sa fille cachée, Mazarine Pingeot : "C’était une autre époque; on ne peut pas juger. Aucun éditeur n’aurait accepté de publier un livre qui en parlait : tout le monde avait la trouille de l’Elysée. Et la presse ordinaire ne subissait pas, comme aujourd’hui, l’influence envahissante de la presse people."
Les protagonistes de cette évolution le reconnaissent avec moins d’aisance, mais c’est, à l’évidence, un facteur qui contribue à cette évolution : d’un strict point de vue mercantile, elle est extrêmement rentable, pour les patrons de presse et les éditeurs. Tout comme l’essai "Les Strauss-Kahn" figura parmi les best-sellers de l’été, les newsmagazines qui ont fait leur couverture sur le trio Hollande-Trierweiler-Royal ont chacun battu des records de vente.
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