Cette coïncidence est logique à pleurer. Mercredi dernier, la grande distribution s’engageait à préserver la santé et le portemonnaie des pauvres, en organisant des "paniers à 20 euros", assortiment de saines victuailles pour les moins-nantis. Et Frédéric Lefebvre, sous-ministre de la Consommation, bénissait l’opération en poussant télévisuellement un chariot dans les rayons du Carrefour de Charenton…
Trois jours après, dans toute la France, les salariés de Carrefour, justement, se mettaient en grève, pour leurs salaires et leur pouvoir d’achat; et on apprenait, au fil des reportages, qu’une caissière de l’enseigne ne gagnait pas assez pour faire ses courses chez son patron – se réfugiant au harddiscount du coin. À se demander si le "panier essentiel" ne devrait pas d’abord profiter aux employés du distributeur
L’histoire exhale le cynisme de l’époque. Avec la caution du gouvernement, les grandes surfaces se construisent une image d’entreprises socialement impliquées, quand, en interne, elles poussent leurs salariés à la disette ou à la révolte. Elles profitent de la crise et de la pauvreté ambiante, tout en l’entretenant chez eux. Et pendant ce temps, le groupe Carrefour se restructure, dans une manoeuvre dont on espère qu’elle sera profitable aux actionnaires, ou alors, à quoi bon? Comme souvent, la réalité ressemble à un tract gauchisant, l’ironie en plus. La pauvreté participe au marketing. L’État organise la consommation au rabais et enrobe l’humiliation de mots doucereux, et Lefebvre insiste, il ne faut pas dire "panier des pauvres" – mais alors quoi? Et le salariat, des deux côtés de la caisse enregistreuse, claque du bec à l’unisson…
Psychologiquement, la grève des Carrefour est une bonne nouvelle, qui rompt avec l’abattement et les faux-semblants. Fini la com'; fini la consommation assistée: simplement un conflit social, à l’ancienne, et sur l’essentiel: pouvoir vivre. Mais cette simplicité souligne les habiletés ou les complexités du pouvoir. Jeudi, le président de la République visitait l’Auvergne ouvrière. Il y a affirmé que les salariés devaient, eux aussi, profiter des dividendes des entreprises, sous forme de prime: idée séduisante, mais compliquée, quand il serait tellement plus simple d’augmenter les salaires…
Ensuite, le même président a averti les chômeurs de mauvaise foi, qui, paraît-il, refusent les offres d’emploi, qu’on allait désormais les contrôler sévèrement, la crise étant finie! Entre des dividendes virtuels d’un côté et la mise en joue bien réelle de chômeurs, promis à l’opprobre et, sans doute, au panier à 20 euros (trois repas pour une famille de quatre personnes), on pensait à une expression anglaise, à propos de la classe ouvrière qui n’en finit pas de subir: "Raining stones." Il pleut des pierres. Un jour, peut-être, ils les lanceront.
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