En répondant au journaliste de télévision qui l’interroge, l’homme se pince la joue. Plusieurs fois. Les yeux dans un soleil froid, aveugle et insolent, il commente son geste. Tranquillement. Simplement. Il veut, nous dit-il, se prouver à lui-même qu’il ne rêve pas... en espérant que si. Qu’il ne va pas sortir du sommeil. Que toute cette désolation n’est qu’un cauchemar. Derrière lui, les décombres de sa ville ravagée par le tsunami. Soufflée par une force surnaturelle. Il peine à le croire et nous aussi. Il est Japonais, à des milliers de kilomètres de distance, mais tellement proche, ce frère d’humanité dont on partage instantanément l’angoisse universelle. La tristesse et puis le désarroi.
Les images, qualifiées «d’apocalyptiques», que les chaînes de télévision nous envoient en continu ont quelque chose d’hypnotique. Ce mélange d’irréel et de terrifiant qui nous écrase et nous permet, en même temps, de mesurer la fragilité de notre humanité. On le sait, oui, mais on ne le sait jamais vraiment. Quelques minutes de secousses suffisent donc pour que tout bascule. Pour revenir dans le dénuement absolu. Pour que toute la technologie du monde soit tout à coup impuissante à vous protéger, emportée comme fétu de paille. Pour balayer tout le reste, les péripéties politiques dérisoires, les colères, les inquiétudes... Tout ce qui fait notre existence et que l’on croit immuable réduit à rien. Une terrible leçon de modestie, voire d’humilité. De lucidité, sûrement. La voilà donc résumée notre taille réelle à l’échelle de l’environnement qui nous entoure: cent fois plus petite que ces pelleteuses ramenées à la dimension d’un jouet ridicule au pied de l’amoncellement de maisons broyées qu’il leur faut bien essayer de déblayer si on veut que, quoi qu’il arrive, la vie continue. La vie, tient, ne serait-elle guère moins vulnérable qu’un papillon dans le piège du déluge?
Comment parler de ce Japon sous le choc sans larmes inopérantes? C’est une vraie question posée aux médias toujours tentés de se laisser aller à la morbidité du chaos. Le risque, bien réel, d’une catastrophe nucléaire majeure déchaîne une verve anxiogène aux réserves inouïes. Le mystère nourrit le fantasme d’une fin du monde quand la transparence nous permettrait d’en mesurer lucidement les failles et les périls.
On sent bien que les autorités japonaises hésitent entre l’élan de dire et la réserve de cacher. Quelle épreuve de vérité pour une démocratie qui espérait ne pas devoir aller au-delà d’une précaution exemplaire et qui est bien obligée d’affronter un inconnu dont elle avait désespérément voulu repousser les frontières.
Chaque jour un gong rappelle la tragédie atomique d’Hiroshima à ce peuple courageux qui, confronté à la pire crise de son histoire depuis 1945, ne peut s’empêcher de se demander. Pour qui sonne-t-il? Pour qui sonne le gong?
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