lundi 14 mars 2011
Japon : le défi de la nature
La dignité, le courage et même la noblesse de la société japonaise face au déchaînement extrême de la nature sont en tout point admirables. Existerait-il dans le code génétique japonais comme un mélange unique de fatalisme et de résistance, de discipline collective et d'attention à l'autre qui serait la contrepartie de l'absence de l'individualisme au sens occidental du terme ? Dans une société pour laquelle l'« absolu » n'existe pas et où tout est en quelque sorte « relatif », de la joie à la douleur, la « résistance collective » est peut-être plus facile, avec des conséquences terribles pendant la Seconde Guerre mondiale et des comportements admirables aujourd'hui face au désastre. Il existe un être collectif japonais qui est, au moins en partie, certainement le produit de la fragilité de l'homme devant la cruauté de la nature. Comment faire face seul aux tremblements de terre et aux tsunamis ? Sans tomber dans une lecture réductrice et excessive de la théorie des climats, l'hédonisme et l'égoïsme de certains « paradis méditerranéens » contrastent singulièrement avec les réflexes naturels des Japonais.
Le bilan humain de la catastrophe sera certainement au final -lorsque toutes les victimes auront été recensées -très lourd, mais il restera très inférieur à ce qu'il aurait été dans d'autres pays riverains du Pacifique s'ils avaient été eux aussi touchés par un séisme d'une magnitude de 9 sur l'échelle de Richter et par le tsunami qui en est résulté. En 1995, le tremblement de terre de Kobe, d'une puissance très inférieure à celui qui vient de se produire, avait déjà fait plus de 6.000 morts et avait renforcé le « doute de soi » qui s'était emparé du Japon depuis l'explosion de la bulle immobilière, en 1988-1989. Le pays du Soleil-Levant se croyait mieux préparé à faire face aux tremblements de terre. A Kobe, des immeubles entiers s'étaient effondrés comme des châteaux de cartes. Les secours avaient tardé à s'organiser, le gouvernement avait été l'objet de nombreuses critiques.
Aujourd'hui, le tremblement de terre le plus violent qu'ait peut-être jamais connu le Japon de toute son histoire affecte les « émotions » japonaises dans ce qu'elles ont de plus sensibles. Hier, c'était « l'homme » (les bombardiers américains) qui déclenchait les feux de l'atome sur Hiroshima et Nagasaki. Aujourd'hui, c'est la nature qui, dans sa folie meurtrière, confronte à nouveau le peuple japonais à la menace des radiations nucléaires, même si le pire semble a priori avoir été évité et si la probabilité d'un nouveau Tchernobyl demeure, espérons-le, faible.
Ce désastre unique va-t-il contribuer à approfondir la crise identitaire d'un pays vieillissant, qui vient d'être relégué par la Chine à la troisième place dans le classement des économies mondiales, dont la dette est abyssale et qui, à de très rares exceptions près, considère ses dirigeants politiques avec un mélange de défiance et de mépris ?
Ou bien l'inverse est-il possible ? L'énormité du défi posé par la nature à l'homme va-t-il en quelque sorte conduire au « réveil du Japon » ? Un réveil économique grâce à l'ampleur des reconstructions nécessaires, un réveil moral face au caractère unique du désastre. Le coût humain de la catastrophe, celui, énorme, des destructions matérielles ne peuvent que pousser le pays à donner le meilleur de lui-même et à retrouver dans sa culture insulaire d'une très grande richesse les énergies collectives dont une autre île, la Grande-Bretagne, a su faire preuve en juin 1940 dans de tout autres circonstances, face à la folie d'un homme et non face à celle de la nature. Mais peut-il exister un Churchill Japonais ?
Au lendemain du 11 septembre 2001, la formule « nous sommes tous des Américains » avait résumé ce que ressentaient de nombreux Français et Européens. Aujourd'hui, peut-on dire « nous sommes tous des Japonais » sans verser dans l'exploitation de la catastrophe, comme le font les antinucléaires ?
Nous ne sommes pas égaux devant les risques de la nature. Certaines zones du globe sont infiniment plus vulnérables que d'autres. Mais, sur un plan humain, affectif, sinon philosophique, nous ne pouvons que nous sentir tous Japonais, c'est-à-dire infiniment petit, infiniment fragile et infiniment vulnérable face aux forces déchaînées de la nature.
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