TOUT EST DIT

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mercredi 9 mars 2011

Le CAC 40 et les trois pièges du mirage émergent

Quatre-vingt-deux milliards d'euros, 83 % de hausse. Les profits des 40 plus grandes sociétés françaises (*) vont encore beaucoup faire parler cette semaine. Nos géants affichent une santé presque insolente. Ils sont les seuls à avoir effacé complètement, et aussi vite, les stigmates de la crise, en faisant le dos rond, en restructurant leurs activités et en assainissant leur structure financière. En 2010, une seule société du CAC 40 accuse des pertes - Alcatel-Lucent -et seules cinq - AXA, Bouygues, EDF, Vallourec et Veolia -affichent des profits en repli. Nos mastodontes français se sont désendettés et sont proches de renouer avec la rentabilité d'avant-crise : en 2007, les profits cumulés du CAC 40 avaient atteint le record de 101 milliards d'euros.

Ces chiffres montrent aussi, et surtout, que les grandes entreprises françaises sont totalement ouvertes sur le monde. L'année 2010 s'est caractérisée par une forte asymétrie de la croissance sur le globe, puisque la progression a atteint de 1 à 2 % pour les pays avancés, mais de 6 à 8 %, et même plus dans le cas de la Chine, pour les pays émergents. Cette croissance, les grandes entreprises ont réussi à la capturer. En dix ans, la part des revenus réalisés par les sociétés du CAC 40 dans les pays émergents est passée de 17 à 28 %. Elle dépasse désormais la part des revenus réalisée par ces mêmes entreprises en France puisque celle-ci atteint 24 %.

Aujourd'hui, certains grands groupes de l'Hexagone réalisent déjà la moitié de leur chiffre d'affaires dans les pays émergents à l'instar de Total, Lafarge, Danone ou Vallourec. Et cela ne devrait pas s'arrêter. Car les grandes sociétés françaises concentrent désormais leurs investissements dans ces zones. Michelin a trois nouvelles usines géantes en projet ou en chantier en Inde, au Brésil et en Chine pour 3 milliards d'euros, du jamais-vu dans le groupe. Chez Schneider Electric, la Chine est devenue le deuxième marché, derrière les Etats-Unis, mais devant la France. GDF Suez a clairement mis la priorité sur les investissements dans les émergents avec l'acquisition d'International Power.

On pourrait comme cela multiplier les exemples. La tendance est nette. Selon les analystes, les émergents devraient représenter d'ici à trois-cinq ans plus d'un tiers des chiffres d'affaires et plus de 35 % des résultats du CAC 40. Il y a des raisons de se réjouir de la capacité de nos grands représentants à aller chercher la croissance là où elle se trouve : cela conforte leur ancrage dans la mondialisation, cela assied leur développement et dope leurs résultats. Mais à trop se laisser éblouir par le mirage émergent, le risque est grand de ne plus voir les pièges qui guettent nos acteurs français. Ils sont au nombre de trois.

D'abord, cette diversification internationale masque l'incapacité des autres entreprises françaises - les PME, les entreprises de taille intermédiaire -à se développer en dehors de leurs frontières. Comme le montrait récemment Patrick Artus dans une étude intitulée « Les Mystères du CAC 40 », la France est l'un des rares pays à présenter un tel écart entre ses grandes et ses petites entreprises. Alors qu'en Allemagne les grandes sociétés cotées (sur le DAX) ont une situation et un comportement proche de celui de l'ensemble des entreprises, ce n'est pas du tout le cas de ce côté-ci du Rhin. Et le risque, selon l'économiste, est que l'environnement français - faible croissance, coûts salariaux élevés, fiscalité défavorable, hostilité dans certains cas de l'opinion publique -conduise nos géants à réduire de plus en plus la taille de leurs opérations en France.

Ensuite, le poids croissant de nos grands représentants hexagonaux dans les pays émergents n'est pas sans risques. Nombre de pays (Brésil, Chine, Inde) doivent lutter contre la surchauffe de leur économie et la montée de l'inflation. Les risques ne sont pas nuls que les politiques monétaires et les fluctuations des changes soient mal maîtrisées. Les événements récents au Maghreb et au Moyen-Orient, ainsi qu'en Côte d'Ivoire, sont aussi venus rappeler aux investisseurs que les pays émergents pouvaient se révéler instables sur le plan politique. Lafarge en Egypte, France Télécom en Tunisie, Total en Libye ou la Société Générale en Côte d'Ivoire en font l'expérience actuellement, même si l'impact devrait rester modeste sur leurs comptes. Les déboires de Danone en Chine ou de Carrefour au Brésil rappellent par ailleurs que l'environnement légal et commercial n'est pas toujours sécurisé dans ces pays.

Enfin, les succès internationaux des vedettes du CAC 40 ne doivent pas faire oublier que leurs concurrents les plus féroces seront sans doute à l'avenir... les nouveaux géants émergents. En quelques années, des mastodontes se sont imposés dans presque tous les secteurs, à de rares exceptions près comme la pharmacie ou les technologies médicales : les chinois PetroChina ou ICBC, les brésiliens Petrobras et Vale, les indiens Reliance et Infosys, le russe Gazprom, ainsi que des milliers d'autres noms moins connus du grand public. La nouvelle est presque passée inaperçue au milieu de l'été dernier. Mais, pour la première fois depuis 1999, le Top 10 des entreprises créatrices de valeur, classées par le BCG selon la performance boursière et le dividende sur cinq ans, ne comprenait aucune entreprise européenne ou américaine. La première française était 198 e (Hermès), les dix premières asiatiques. La semaine dernière, des rumeurs faisaient état d'un intérêt du chinois Huawei pour Alcatel-Lucent. La perspective d'une nouvelle bataille boursière, comme celle qui opposa Arcelor et Mittal, n'est peut-être pas très éloignée.

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