TOUT EST DIT

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dimanche 12 décembre 2010

La démocratie (aussi) pourrit par la tête

Après la crise financière née de l'hystérie de crédits incontrôlés, voici qu'une autre hystérie, celle de la transparence, déverse, via WikiLeaks, un tombereau de secrets diplomatiques volés." Ceux, disait-on à Rome,que Jupiter veut perdre, il leur fait d'abord perdre la raison. " Or c'est bien la raison qui déménage lorsque s'emballent jusqu'aux délires la machine à profit et les marteaux piqueurs de la transparence.

Ces deux méfaits obéissent au même vice : la démesure. L'un et l'autre sévissent d'abord en Amérique, à la proue du système capitaliste et démocratique. L'un et l'autre avancent en pionniers d'une valeur détraquée par ses excès : le financier au nom du profit ; le pirate des secrets d'Etat au nom du droit démocratique à la vérité. L'un et l'autre exploitent les friches hors la loi du maquis informatique où sévissent l'anonymat, la rumeur, la calomnie et le vol par effraction. L'un et l'autre ont la même sorte d'agents d'exécution : traders égarés dans la fièvre spéculative ou hackers drogués au piratage, tous ludions de l'électronique, somnambules du virtuel, le nez vissé à l'ordinateur. Tous apprentis sorciers de sa neuve puissance.

L'opération WikiLeaks est un cas d'école, celui d'un emballement incontrôlé où, en effet, la raison se perd en route. Au départ, une défaillance impressionnante de l'Etat le plus puissant de la planète pour protéger ses secrets dans la jungle du numérique. Un pirate, militant de la transparence, devenu espion " à l'insu de son plein gré ", se trouve relayé par WikiLeaks qui divulgue, en quelques clics, 250 000 messages diplomatiques. Le militant et son site, débordés par leur trouvaille, se drapent dans le principe de transparence : ils seraient les vengeurs des citoyens du monde, asservis par le complot d'Etats serviteurs des riches et des corrompus. Or voici que le militant lui-même accepte de se compromettre en confiant son trésor à cinq grands journaux - chez nous,Le Monde-, lesquels acquiescent aux divulgations, mais à condition d'en écarter celles qui menacent la sécurité physique de personnes impliquées. De tout le reste les journaux feront leur beurre.

Que le message secret ne soit nullement obtenu par une enquête contradictoire et journalistique mais qu'il provienne d'un vol par effraction ne décourage pas nos divulgateurs sélectifs. Ils plaident que, sous réserve de leur censure discrétionnaire, ils ne peuvent, parbleu, éviter de livrer un stock " tombé dans le domaine public ". Ainsi peut-on condamner la fuite tout en la publiant. Semblables, en somme, à ces DJ qui tripatouillent et mixent des disques soustraits aux droits d'auteur pour concocter leur propre musique. Le droit sacré de la libre expression couvre le recel. En Occident, grince un polémiste," le droit de tout publier tombe, comme les prunes, tout seul de l'arbre à droits. Il suffit de le secouer... ".

L'Amérique subit-elle ici un Pearl Harbor électronique ? Non, mais le viol de ses confidences lui réserve de graves avanies. On fait certes valoir que les secrets ne dévoilent que ce que les curieux de la chose publique savaient déjà. Mais ce n'est qu'en partie exact. D'abord des secrets écartés par le tri sélectif des " Cinq " vont circuler sur le Net. Ensuite, une confidence rapportée pèse d'un autre poids qu'un pressentiment d'analyste. Ainsi, on a beau savoir que les sunnites et autres Saoudiens sont obsédés par le risque iranien, le conseil explicite du roi d'Arabie demandant à l'Amérique de " couper la tête du serpent " fera d'autres dégâts, et d'abord dans son propre peuple. Le tout pour le bénéfice évident des extrémistes. On ne compte plus, dans l'Histoire, les conflits qui purent être déjoués dans le secret d'une certaine confiance diplomatique. C'est folie de la saccager.

Il n'échappe de surcroît à personne que ces divulgations agressent un pays libre et qu'on n'en trouverait pas de semblables à Pékin ou à Moscou. Elles soulignent, si besoin était, la vulnérabilité des démocraties libérales face aux régimes totalitaires. Car le monde n'est pas celui dont rêvent nos pirates altermondialistes. Les Etats qui s'en répartissent les aires de puissance ne sont convertis ni aux mêmes droits ni aux mêmes licences.

Quant aux libertés conquises dans nos pays, elles courent à leur perte dès lors qu'elles transgressent les lois qui les protègent et fondent l'Etat de droit. Cette évidence n'échappe pas au bon sens démocratique des peuples : elle déraille plutôt chez quelques élites déboussolées par les mirages du virtuel et la griserie soudaine de techniques nouvelles qui attendent encore leurs règles et leurs arbitres.

Comme bien des absolus dans l'Histoire, l'absolu du profit comme l'absolu de la transparence sont les fourriers de la tyrannie. Les démocraties ont des lois pour garde-fous et le sens commun pour viatique. Comme le poisson, elles pourrissent d'abord par la tête.

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