TOUT EST DIT

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jeudi 7 octobre 2010

Pensée compétitive


Il est un point commun aux pays qui réussissent : la place accordée par les décideurs à l’information, la connaissance et l’anticipation opérationnelle de l’environnement international, ce que nous appelons en France l’intelligence économique, cruciale pour la compétitivité. L’émergence fulgurante de pays encore considérés il y a dix ans comme « en développement » en est une illustration.

Ce lien compétitif entre la pensée et l’action a été largement souligné pour les Etats-Unis. Think tanks puissants, boîtes à idées pour entreprises comme pour partis politiques, développement et diffusion mondiale de modèles culturels, économiques et juridiques, de normes… Des pays émergents, on ne parle en général que des succès matériels, de production et d’exportation. Pourtant, si leurs gouvernances sont diverses, nous les voyons tous développer des facultés similaires quoique spécifiques, dont les effets ne sont qu’à leurs prémisses.

Selon une étude récente (1), plusieurs think tanks de pays émergents figurent parmi le top 50 du classement mondial des think tanks (5465 au total), dont un indonésien (Centre for Strategic and International Studies) et deux chinois (CASS, Chinese Academy for Social Sciences et SIIS, Shanghai Institute for International Studies).

Prenons l’exemple de la Chine : cette recherche de pensée compétitive se fait sous l’égide d’un parti communiste omniprésent, ce qui tend à prouver que la richesse de la pensée stratégique n’est pas réservée aux démocraties, constat sans doute dérangeant pour nous Occidentaux. Quel que soit leur nom, les think tanks sont nombreux dans ce pays à alimenter les décideurs du Parti pour la mise en œuvre des réformes économiques en cours depuis plusieurs années. Certains sont directement liés au Parti, et parfois même internes à l’administration, d’autres le sont plus indirectement, comme le CASS, le SIIS et bien d’autres.

Les think tanks chinois ne doivent pas être jugés à la seule aune occidentale, la pensée compétitive reflète la culture de chaque pays. Dans un pays dont la tradition culturelle confucéenne est fondamentalement différente voire divergente des règles du marché, et où le maître-mot est « l’harmonie » de la société, il est naturel que ces think tanks ne présentent à l’extérieur que des idées qui ont préalablement été informellement validées par les autorités. En l’occurrence, cela ne relève pas du communisme, mais de la culture. Par ailleurs, la légitimité du Parti repose sur sa capacité à assurer une symbiose entre une ligne politique unique et l’intégration des mécanismes de l’économie de marché. Cela demande d’intenses réflexions et les échanges d’idées sont réels dans une administration moins monolithique qu’il n’y paraît de l’extérieur, pour in fine toujours chercher la meilleure voie.

Cette anticipation permet d’abord des choix économiques, industriels et énergétiques : par exemple, dans le domaine de la recherche d’énergies alternatives, les choix relativement anciens et longtemps méconnus de la Chine en matière de recherche de technologies propres, dans le charbon (en coopération au début avec les États-Unis) puis dans l’énergie solaire.

Ce qui est frappant, et qui nous est confirmé de diverses sources, est la place croissante réservée aux sciences humaines dans la pensée compétitive, notamment à la réflexion sociologique (2). Si les Chinois par exemple ont consacré et consacrent toujours beaucoup d’efforts à la recherche scientifique et technique, ils se sont ensuite dotés d’outils de recherche économique et juridique et aujourd’hui, les décideurs politiques ont pris conscience du caractère capital de l’expertise sociologique pour piloter le développement (3).

L’anticipation opérationnelle porte aussi sur le développement de stratégies de compétition immatérielle, le soft power. A noter à ce sujet qu’un tout nouveau think tank vient de faire son apparition à Beijing, le China Center for International Economic Exchanges (CCIEE), avec probablement comme but le troisième volet de l’intelligence économique, à savoir l’influence internationale des idées. Un aspect de cette puissance immatérielle procède aussi de l’influence normative, par le droit (règles et normes). Dans ce domaine, les Chinois ont patiemment « fait leur marché » depuis quelques années, envoyant des experts dans différents pays pour s’inspirer des meilleurs exemples : en droit civil et des affaires par exemple, s’intéressant beaucoup en ce dernier domaine au droit continental européen et pas seulement à la common law. Nous pensons qu’aujourd’hui les think tanks chinois vont s’intéresser au sens inverse, à savoir la participation de la Chine à la normalisation mondiale. Les Chinois ont compris que les marchés mondiaux seront normalisés à terme, et ils ont déjà commencé à déployer leurs propres normes dans divers produits de consommation comme la téléphonie, avec l’assurance que leur taille leur permettra un jour ou l’autre d’en faire des normes mondiales. Par ailleurs, avec son adhésion à l’OMC, la Chine est devenue membre à part entière de la communauté économique mondiale, sujette à ce titre à être attaquée juridiquement mais aussi apte à y promouvoir ses points de vue. Nous n’avons probablement pas encore vu l’influence normative au sens large que pourra un jour pas si lointain exercer la Chine, non seulement dans l’économie, mais aussi en matière environnementale, éthique, sociale, culturelle.

A nous Français et Européens de nous doter de capacités de pensée compétitive et d’anticipation opérationnelle de même niveau. Il s’agit d’enjeux de sécurité économique globale, en amont. Ils sont fondamentaux pour nous, pour dialoguer et travailler avec ces puissances émergentes –et les autres- sur un mode à la fois concurrentiel et coopératif, en termes de « co-opétition », maître mot de l’intelligence économique internationale.

1 Source : The Global Go-to Think tanks, The Think Tanks and Civil Societies Program, International Relations Program, University of Pennsylvania, 2008.

2 Market Economy and Confucian Tradition, CASS, mai 2003.

3 Cf. « Si au début de la réforme l’heure était aux économistes, et que depuis le 15è congrès ce sont les juristes qui ont été les plus sollicités, le moment des sociologues est maintenant venu » - Michal Meidan, Les Nouvelles de Chine, novembre-décembre 2007, synthèse commentée de Ma Changbo, Une enquête sur les centres de recherche officiels en Chine », Nanfang zhoumo, 11 octobre 2007 et « The era of technocrats is inevitably on the fall, indicated by fewer engineers in the Party’s Standing Committee », Erdong Chen, cit.

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