TOUT EST DIT

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jeudi 7 octobre 2010

Marilyn Monroe à fleur de peau

Publiés simultanément dans plusieurs pays, les écrits intimes de Marilyn Monroe dévoilent une femme complexe éprise des mots, loin de l’icône sotte et sexy à laquelle elle fut longtemps résumée
  Fragments Poèmes, écrits intimes, lettres de Marilyn Monroe
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Tiphaine Samoyault, Seuil, 270 p., 29,80 €


Elle était la « fille américaine », « l’Actrice blonde », « la déesse américaine de l’amour sur la grille du métro de New York », « la Fille Sans Nom », « la Fille de Vos Rêves », elle était « Marilyn Monroe », égrène Joyce Carol Oates au long de son extraordinaire roman, Blonde .

Pourtant, l’écrivain n’incarne vraiment son personnage que sous un seul nom : Norma Jean, prénom de baptême de la petite fille éperdue d’amour que Marilyn ne cessa jamais d’être. Elle ne s’appelait pas Marilyn, elle n’était pas idiote, elle n’était même pas blonde. La recherche de sa propre identité fut au centre de toute sa vie heurtée.

Depuis sa mort, le public a fait le même chemin à rebours, comprenant peu à peu que l’image de la pin up peroxydée forgée dans les années cinquante était chimérique.

De Marilyn Monroe, il a connu les films, les photographies, encore placardées aujourd’hui sur tant de murs, de vitrines, de magazines, les innombrables biographies qui lui furent consacrées, tissées d’informations plus ou moins exactes, ses éclats de rire, sa dépression, ses retards sur les tournages racontés par Billy Wilder ou John Huston, la merveilleuse actrice qui n’arrivait pas à retenir ses répliques, la chanteuse à la voix sensuelle, la maîtresse du président Kennedy… mais que savait-il des émotions de cette femme disparue en août 1962, à l’âge de 36 ans ?

Une femme d’esprit à la recherche de connaissance

Marilyn elle-même s’employa à brouiller les pistes, se cachant derrière l’écran protecteur de l’icône sexuelle. « Pour moi, il s’agit d’une beauté entièrement fabriquée par le studio, la publicité, les médias, et de cette image elle est devenue prisonnière », souligne l’historien du cinéma Jean-Pierre Coursodon (1).

C’est cette image, tronquée et réductrice, que s’est employée à équilibrer depuis des années Anna Strasberg, la femme de Lee Strasberg, ami cher de Marilyn et son professeur à l’Actors Studio à New York, détentrice du droit moral de l’actrice. À coups de procès – gagnés – contre l’utilisation marketing de photographies ou de son nom, et par une communication choisie sur la star, Anna Strasberg va faire éclore la femme intelligente et cultivée derrière la ravissante idiote.

La publication, jeudi 7 octobre, simultanément dans plusieurs pays, des écrits personnels de l’actrice, conservés par elle depuis la mort de son mari, participe de ce mouvement, dévoilant une Marilyn non seulement sensible et fragile, désemparée et appelant à l’aide, mais aussi une femme d’esprit à la recherche de connaissance et de reconnaissance intellectuelle.

« Ce qui frappe à la lecture de ces documents, remarque l’éditeur Bernard Comment, qui a coordonné les publications, c’est l’intensité de son rapport poétique au monde. » Issus de plusieurs carnets et de feuillets épars (tous reproduits en fac-similé en regard de la belle traduction de Tiphaine Samoyault), ces écrits intimes sont émouvants. 

Ils projettent le lecteur dans les pensées et les émotions de Marilyn, confirment sa fragilité mais aussi son extraordinaire prescience, sur elle-même, sur le monde. Elle tâtonne, semble emplie d’un grand appétit de vivre contrarié par une mélancolie inhibante. Avec, encore et toujours, son physique comme rempart à des tourments plus profonds.

« Je pense que je suis très seule – mon esprit bat la campagne. Je me vois dans la glace à présent, le sourcil en bataille – si je me mets très près je verrai ce que je ne peux pas y voir – la tension, la tristesse, la déception, mes yeux ternes, les joues rougies par des petits vaisseaux qui paraissent comme des rivières sur une carte – les cheveux qui tombent comme des serpents. C’est la bouche qui me rend le plus triste, près de mes yeux presque morts. Il y a une ligne sombre entre les lèvres comme les contours de nombreuses vagues soulevées par un violent orage – qui dit ne m’embrasse pas, ne me ridiculise pas, je suis une danseuse qui ne sait pas danser. »

Marilyn livre aussi dans ces fragments ses réflexions sur son métier. Son application, sa créativité, son talent de femme d’affaires, ou celui de femme d’intérieur, avec là aussi comme seul ressort l’envie d’être aimée. Surtout s’en dégage un sentiment tenace d’insécurité, et, plus que le désir de plaire, la volonté de ne pas décevoir.

Marilyn a l’intuition que le bonheur passera par cette équation piégée : si je ne déçois pas, on m’aimera. Poignante, cette scène où Marilyn dit son chagrin après avoir compris que son mari, l’adulé, l’admiré Arthur Miller, a honte d’elle et doute de leur amour. L’actrice crie sa solitude, se réfugie tout entière dans son travail, dans l’attente de la perfection qu’elle fait peser sur elle, et dans ce qu’elle sait le mieux faire : jouer. « Je sais que je ne serai jamais heureuse, mais je peux être gaie ! ».

"Les mots étaient pour elle la seule et grande question"

Ce recueil richement illustré n’est pas que le récit d’un mal-être, c’est aussi une confession totale, et une recherche obstinée. « Elle ne se protégeait pas, explique Bernard Comment. Elle donnait, elle donnait tout. On ressent à la lire l’incroyable sincérité de cette femme, son absence totale de cynisme et son extrême fragilité. C’est peut-être pour cela qu’elle reste autant dans l’imaginaire collectif, c’est un phénomène étrange. »

« Je pense que c’est une bonne chose de remettre Marilyn à la place d’une femme qui, sans être une intellectuelle, était éprise du langage dans toutes ses formes, et notamment sa forme poétique », poursuit Michel Schneider, écrivain et psychanalyste, qui a montré un visage complexe de l’actrice dans son roman Marilyn dernières séances (2).

« Les mots étaient pour elle la seule et grande question. Elle avait beaucoup de difficultés à parler, et les photos furent un moyen d’expression plus facile. » Mais insatisfaisant. La poésie, les confessions intimes, l’auto-analyse deviennent un refuge et un langage.

« Elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements », disait Norman Mailer. C’est à ce poète empêché de marcher par un corps dévorant que rend grâce ce livre. Les vers de Marilyn ne sont pas ceux d’un écrivain mais ceux d’une femme qui donne une forme à sa demande affective. Ils touchent, telle cette phrase d’un fol espoir et d’une incapacité mêlés : « À partir de demain je vais prendre soin de moi. »



(1) coauteur, avec Bertrand Tavernier, de Cinquante ans de cinéma américain, Éd. Omnibus.
(2)
Marilyn dernières séances, Grasset et Folio.




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