TOUT EST DIT

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vendredi 22 octobre 2010

Le temps des réformes radicales

La leçon politique qu'il faut tirer de cette réforme des retraites est limpide : la radicalité des manifestations appelle à des refontes radicales. Le gouvernement l'a admis, qui évoque le lancement d'une réflexion sur des retraites par « points », « à la suédoise ». Datant de 1945, le système social français craque de partout. Dès que l'on déplace un peu un de ses membres, l'ensemble du vieux corps bouge, souffre et s'enflamme. La gravité de la crise tient à ce qu'il ne s'agit pas seulement d'une défense archaïque d'avantages acquis et de corporatismes. Il s'agit de cela, mais aussi de beaucoup plus.

La France est une société de rangs, devenus à la Révolution des statuts. Chacun d'eux offrait un métier avec, associée, une dignité. Comme la mondialisation a recomposé le système productif, le découpant en petits bouts, brisant les filières d'hier, délocalisant, désindustrialisant, comme la technologie a défeuillé les arbres des savoirs, tous les métiers d'hier ont changé, beaucoup ont disparu. Des statuts, demeurent les corporatismes qu'on dénonce, mais aussi une dignité disparue qu'on déplore. D'où la difficulté des réformes qui touchent le métier, mais aussi la valeur symbolique qui lui est attachée. D'où la radicalité de la rue. Il est temps d'une refonte complète, d'un nouveau compromis social, de ce que Philippe Herzog (1) nomme « redéfinir une vie collective ». L'ancien professeur d'économie marxiste, qui a rompu avec le Parti communiste et est devenu un ardent défenseur de l'Union, actuellement président-fondateur de l'association Confrontations Europe, propose dans un livre dense et riche des pistes sur ce qui peut encore nous unir dans la mondialisation. Il va au fond du débat sur les valeurs françaises et européennes.

D'abord l'économique. « J'ai connu le social du toujours plus », explique Philippe Herzog, celui des Trente Glorieuses. Puis, est venu le temps présent, celui de la « défense » des avantages acquis. Mais « à demeurer dans la résistance, ou pire, dans l'opposition radicale, on ne peut transformer le capitalisme ». Le problème est fondamental : « La dissociation entre la productivité et le progrès social, le désarroi face aux changements de l'organisation et la perte de foi dans l'entreprise » provoquent une dévalorisation du travail. On comprend le « Vive la retraite ! » Il faut, poursuit l'auteur, trouver la voie d'une revalorisation du travail, clef incontournable du vivre-ensemble dans la Cité, qui passe par une réappropriation des savoirs, des sciences, de la gestion et même « de la définition des buts et de l'efficacité » de l'entreprise. Le but est de sortir le social de la pure notion juridique où il s'enferme pour que la société réinvestisse dans l'entreprise, la finance, l'économie, « ce qui exige un effort massif d'éducation et de participation à la gestion, encore jamais consenti ».

L'Europe, deuxième piste, est non seulement l'espace nécessaire pour construire ce modèle rénové mais est aussi un laboratoire de comparaison, de « benchmarking ». Philippe Herzog ne se remet pas de la désillusion européenne et du désintérêt grandissant des hommes politiques pour l'Union. Le problème est là aussi fondamental : la perte de sens ne vient pas de l'élargissement, mais du manque de soubassement auprès des sociétés civiles et des citoyens. La réappropriation passe ici par une politique industrielle européenne, sans naïveté face aux Chinois, et par une réinvention des biens publics paneuropéens, c'est-à-dire la création d'entreprises publiques ou privées (!) offrant en concurrence dans toute l'Union des services publics de transports, d'enseignement, de recherche ou d'énergie.

La politique, troisième piste, est aussi à réinventer. Face aux marchés, les gouvernements deviennent impuissants. Face à l'Asie, la démocratie est en question. Philippe Herzog ne croit pas « au retour de l'Etat ». « Dans un monde globalisé, les appareils d'Etat nationaux sont voués à la sclérose, si une puissante coopération en réseaux avec leurs pairs et les autres acteurs économiques ne se met pas en place. » La réponse est dans la démocratie « partici pative », même si certains ont pu en dévoyer l'idée : le gouvernement doit être partagé entre l'Etat et la société civile. Tout revoir,de la démocratie au travail en passant par l'Europe : vaste programme ! C'est vrai. Mais le désarroi face à l'avenir est si répandu et si profond qu'il est l'heure de repenser tout et d'avoir des idées radicales.

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