Après cent jours de gouvernement Cameron, il n'est plus permis de douter : la campagne des conservateurs autour de la « Big Society » était davantage qu'un habillage destiné à masquer un futur plan d'austérité. S'il met en place le programme annoncé ces dernières semaines, David Cameron n'aura rien moins que redéfini le rôle de l'Etat dans une société occidentale.
Qu'est-ce que la « Big Society » aux yeux du Premier ministre et des architectes de cette politique, notamment le ministre Oliver Letwin et Steve Hilton, directeur politique de David Cameron ? En gros, l'idée que l'Etat central remplit mal ses missions parce qu'il génère du gâchis et comprend mal les besoins des citoyens, et qu'il faut en contrepartie inciter ces citoyens à prendre en main leur destin. Cela veut dire moins de redistribution sociale, moins de régulation et plus d'associations, caritatives si besoin, pour aider ceux que l'Etat ne peut plus aider.
La violence des coupes dans les dépenses de l'Etat, annoncées le 22 juin et devant être détaillées le 20 octobre, n'est ainsi qu'un versant de l'audace du gouvernement Cameron. Une batterie de projets ont en effet été annoncés qui montrent que le gouvernement est également prêt à prendre des risques pour adapter la société britannique à une réduction du train de vie de l'Etat. Ainsi, le système national de santé (NHS) va-t-il être chamboulé. Les médecins généralistes vont en prendre le pouvoir au détriment de l'administration centrale. Par ailleurs, les parents d'élèves ou les professeurs mécontents de l'enseignement public seront encouragés et financés par l'Etat pour créer des écoles concurrentes. Le gouvernement veut encore que les responsables locaux de la police soient élus par leurs concitoyens au lieu de répondre à Whitehall. La Commission d'audit nationale des services publics locaux va être supprimée… Les exemples de réduction des pouvoirs de l'Etat central abondent. Paradoxalement, alors que la Grande-Bretagne veut s'émanciper en politique étrangère de sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis, elle s'en rapproche dans la philosophie politique, même si la santé va y rester gratuite pour tous. Comme l'administration de Barack Obama, celle de David Cameron s'intéresse aux entrepreneurs sociaux, qui, espère-t-il, se révéleront plus efficaces que l'Etat pour aider les citoyens en difficulté…
Il n'est pas évident que la société britannique, une des plus centralisées de l'Occident, accepte cette mutation. Les sondages montrent que le grand public soutient l'effort de retour à l'équilibre budgétaire du chancelier de l'Echiquier, George Osborne. Les syndicats, même s'ils se tiennent prêts pour plus tard au cas où, ne vont pas appeler à la grève cet automne, a promis un dirigeant de Unite, l'une des principales organisations. Cependant, le serrage de ceinture n'est pas encore entré dans le concret. Et, déjà, la société britannique s'inquiète de l'équité des coupes dans les services publics et dans les dépenses de prestations sociales. Plusieurs think-tanks de droite se sont sentis obligés d'attaquer récemment les conclusions de « The Spirit Level », un livre de Richard Wilkinson et Kate Pickett, qui voient dans les inégalités croissantes le fondement des maux de nos sociétés, travail qui avait suscité l'attention de David Cameron avant les élections. Un facteur important sera la marge de manoeuvre laissée à Iain Duncan Smith, le ministre des Affaires sociales. Ancien leader conservateur, celui-ci n'a plus qu'une ambition : réformer le système de prestations sociales pour favoriser le retour au travail des chômeurs ou des titulaires de pension d'invalidité, qui n'y ont aujourd'hui pas d'intérêt financier. Mais, pour pouvoir assurer à ceux qui rejoignent le monde du travail qu'on ne leur retirera que progressivement leurs allocations, le ministre a besoin d'un budget que le Trésor semble réticent à lui donner. Autre facteur d'incertitude : le soutien des libéraux démocrates aux conservateurs qui dominent la coalition au pouvoir. Beaucoup de leurs supporters estiment qu'ils ne servent que de feuille de vigne pour masquer une politique très à droite.
Cela dit, si David Cameron réussit à contourner ces obstacles, il aura préparé l'administration de son pays, avancent ses supporters, au nouvel ordre économique mondial, lequel signale clairement aux Etats riches qu'ils ne peuvent plus se permettre le train de vie des Trente Glorieuses. « David Cameron est le seul chef d'Etat occidental qui a compris que la crise économique avait avancé de dix à quinze ans les ajustements inéluctables pour nos sociétés », expliquait récemment un économiste influent.
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