Que devient le social dans la mondialisation de l'économie ? Où en est l'effort d'harmonisation universelle des garanties minimales d'un travail décent ?
La question demeure ouverte, dans un contexte d'énorme dissymétrie des situations. Les trois quarts de la population mondiale ne disposent d'aucune protection sociale. Leur vie, sans lendemain assuré, relève de la simple survie, exposée, de surcroît, aux caprices de la nature, comme au Pakistan.
C'est un fait, mais non une fatalité. Telle est la conviction fondatrice de l'Initiative mondiale pour un socle de protection universelle, adoptée par les Nations unies en avril 2009. L'objectif est de permettre l'accès à un minimum de revenus, aux moyens de subsistance et aux services sociaux (santé, eau, assainissement, éducation...) pour tous, de mettre en place un filet de sécurité sociale d'ampleur mondiale. Le groupe de pilotage vient de se réunir à Genève, sous la houlette de Michèle Bachelet, l'ancienne présidente du Chili. Martin Hirsch, qui en est membre, se déclarait raisonnablement optimiste.
On aurait pourtant bien des motifs de scepticisme, à commencer par l'ancienneté d'un combat qui a plus d'un siècle, sans résultats spectaculaires. Les premières conférences internationales sur les conditions de travail datent des années 1880, l'OIT (Organisation internationale du travail) a été créée en 1919 dans un souci de paix. Depuis, près de 200 conventions internationales ont été adoptées, avec des résultats tangibles, mais si inégaux qu'en 1998, son assemblée générale a, par une grande déclaration, concentré l'action sur les droits les plus fondamentaux, piliers d'un ordre public social mondial.
Pourtant, trois facteurs, au moins, semblent propices à l'émergence de cette protection universelle. D'abord le profil bas, probablement temporaire, d'une « rationalité » économique dont la crise a révélé avec éclat les limites, en ouvrant du même coup l'espace à d'autres types de logiques d'action, en particulier sociales. Le regain d'intérêt pour l'économie sociale, ces derniers temps, en est un signe.
Ensuite, l'accueil très favorable de la réflexion de l'Indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie, qui démontre à quel point la justice sociale est une matrice de développement économique et politique (1). Elle contribue à la croissance économique en améliorant la productivité et la stabilité sociale, par la réduction de la pauvreté. Cette intuition est au coeur du Pacte mondial des Nations unies, qui vise à l'intégration des droits sociaux dans la stratégie de développement des grandes entreprises.
Enfin, la multiplication des mouvements sociaux dans les pays émergents (Chine, Bangladesh, Birmanie...) autour des salaires, fortement augmentés chez Honda et Foxconn, mais aussi en vue de l'organisation des relations collectives. Il est révélateur qu'une convention collective ait été adoptée, en Chine, chez KFC, l'une des grandes entreprises de restauration rapide.
L'optimisme de Martin Hirsch pourrait se révéler fondé. Souhaitons-le, par conviction autant que par intérêt bien compris. Plus d'égalisation des conditions sociales, c'est plus d'équité pour tous, y compris dans les relations commerciales protégées de la concurrence déloyale et de la tentation des délocalisations.
(1) Voir son dernier livre, L'idée de justice, Flammarion et celui d'Alain Supiot, L'esprit de Philadelphie, Seuil.
(*) Professeur de droit public à Brest.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire