TOUT EST DIT

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mercredi 16 juin 2010

Ces poussées nationalistes qui morcellent l'Europe

A l'image de la Belgique, l'autonomie est depuis 20 ans dans l'air du temps en Europe. Pour diverses raisons.

Bruxelles, capitale de l'Union européenne, et de la Belgique désunie. Bruxelles, ville-symbole du paradoxe d'un continent, réputé dans le monde pour son effort d'historique d'unification mais toujours davantage déchiré par les séparatismes. La réalité de l'Europe d'aujourd'hui, d'Est en Ouest et du Nord au Sud, c'est la multiplication des Etats et des provinces autonomes.
Mais la Flandre n'est pas la Transnistrie. Commençons par l'Est, où l'histoire des nouveaux Etats s'écrit sur l'éclatement du bloc soviétique. Ce sont d'abord les pays dits « de l'Est », comme la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui retrouvent leur indépendance. Mais l'euphorie est vite tempérée par le réveil des nationalismes : la Hongrie réclame les provinces données à ses voisins un siècle plus tôt, les Tchèques se redécouvrent différents des Slovaques.

C'est « la théorie du frigo », selon Jacques Rupnik : la dictature communiste n'avait pas détruit les identités nationales, elle avait seulement « gelé » leur expression qui revient d'autant plus brûlante. Le pire arrive bien sûr en Yougoslavie, où le Serbe Slobodan Milosevic fait éclater dans la terreur un Etat longtemps contenu par les deux blocs de l'Est et de l'Ouest. Les pays de l'ancienne URSS s'émancipent également : Pays Baltes, Biélorussie, Moldavie… Mais la Russie entretient son influence à travers les minorités russes qui demeurent dans ces nouveaux Etats : en Crimée pour l'Ukraine, dans la frange orientale de la Moldavie aujourd'hui autonome sous le nom de Transnistrie, demain peut-être en Estonie.

Les mouvements séparatistes relèvent à l'Ouest d'une autre logique. Des Basques aux Catalans, des Flamands aux Lombards, c'est la richesse qui alimente la volonté d'indépendance. Une prospérité parfois très récente, comme dans l'Ecosse devenue productrice de pétrole. Cet « égoïsme identitaire », ce refus de payer pour les moins riches du pays, dresse la Catalogne contre la Castille, la Padanie contre le Mezzogiorno, et bien sûr la Flandre contre la Wallonie - avec, dans ce dernier cas, un goût de revanche pour une Flandre longtemps méprisée.

D'Est en Ouest, le résultat est le même, les Etats se craquellent. L'Europe y est-elle pour quelque chose ? Oui, car elle offre une protection : la Slovénie se sauva de l'étau yougoslave en hissant le drapeau de l'Union. Elle permet des séparations en douceur, tel le « divorce de velours » entre Tchèques et Slovaques. Elle a longtemps encouragé les régionalismes, les plus fédéralistes rêvant d'une « Europe des régions » qui aurait lentement euthanasié les Etats.

Non, l'Europe n'est pas coupable, rétorque l'ancien député Jean-Louis Bourlanges. Elle offre certes la possibilité d'une sécession sans risque. Mais elle souffre en fait autant que les Etats, soulignait-il dans un entretien au journal Le Monde : « C'est le même mouvement de refus du partage nécessaire à toute vie collective organisée, qui fracasse les Etats nationaux et paralyse l'Europe ». Daniel Vernet propose dans Slate une forme de synthèse : l'Europe a « un effet d'encouragement pour des évolutions qui préexistaient », mais elle ne « change pas fondamentalement la donne dans les Etats traditionnellement centralisés ». Autrement dit, la France ne sera pas la Belgique.

Francis Brochet
La Belgique face à son destin

Dans son palais, le roi des Belges Albert II a ouvert hier le bal des négociations en recevant les deux principaux vainqueurs des élections législatives fédérales anticipées. L'objectif est de former un gouvernement de coalition entre Flamands néerlandophones et Wallons francophones. L'indépendantiste flamand Bart De Wever a été le premier à franchir les grilles du château de Laeken : sa Nouvelle Alliance flamande (N-VA) étant devenue dimanche la plus importante formation de Belgique avec 27 députés sur 150. Il a été suivi par le président du Parti socialiste francophone (PS), Elio Di Rupo, vainqueur en Wallonie avec 26 députés. Mais les négociations s'annoncent compliquées et le triomphe historique des indépendantistes flamands fait peser une menace sur l'avenir du pays. Voici les principaux scénarios possibles pour la Belgique.

Le statu quo

Partis flamands et francophones acceptent de remettre à plus tard la réforme des institutions du pays pour ne pas aggraver les difficultés alors que le pays doit assurer la présidence tournante de l'UE pendant six mois à partir de juillet, et que la zone euro est dans une mauvaise passe. Un gouvernement de coalition entre les deux grandes communautés linguistiques du pays est rapidement mis sur pied. C'est le scénario considéré comme le plus improbable. L'électorat flamand, qui a clairement fait le choix d'une autonomie nettement accrue, exige un changement rapide.

L'éclatement

Des négociations entre les deux camps pour réformer le fonctionnement de l'Etat en transférant massivement de nouvelles compétences aux régions. Les Flamands adoptent une position maximaliste en exigeant l'autonomie fiscale régionale, la scission de la Sécurité sociale nationale, du système de retraite et de l'assurance chômage. Les francophones refusent. Pour eux la rupture de ces mécanismes de solidarité videra totalement de sa substance l'Etat fédéral. Les Flamands claquent la porte et proclament leur indépendance. Ce scénario n'est pas jugé probable à court terme par les politologues

Décentralisation accrue

C'est le scénario de compromis qui semble le plus plausible dans l'immédiat. Les francophones, sous la pression de la victoire des indépendantistes, acceptent des transferts accrus de compétence de l'Etat fédéral vers les régions, tout en maintenant un minimum en commun. Le pays progresse lentement vers un modèle confédéral, où chaque région s'autonomise en ne partageant plus que quelques fonctions régaliennes au niveau fédéral.
Bruxelles sous le choc

« Je suis dégoûté de ce résultat qui est un pas de plus vers la rupture entre les Flamands et les Wallons », confesse Pierre Nakouzi, administrateur commercial. « Il n'y a désormais plus de freins pour empêcher l'inévitable », constate-t-il. « C'est d'autant plus lamentable que les extrêmes gagnent du terrain », souligne ce travailleur d'origine libanaise. Naguère, Bart De Wever n'hésitait pas à s'afficher avec Jean-Marie Le Pen. Désormais, il faut savoir à qui reviendra Bruxelles et quelle va être la réaction des voisins, notamment des Français. « Cela prédit une guerre politique car personne n'est prêt à abandonner la capitale européenne. » « Je suis choqué de tous ces bla-bla, ces querelles et cet argent! », commente Ibrahim, un garçon de café du quartier européen. Il n'en reste pas moins optimiste : « Si les Wallons et les Flamands se séparent, rien n'empêche qu'ils se remettent ensemble après avoir réalisé qu'il n'est pas possible de vivre seuls ». Ibrahim, qui porte fièrement son T-shirt de l'équipe de France, n'exclut également pas la possibilité d'un rattachement de la Wallonie à la France en cas de scission. « Je ne serai pas contre. Faut-il encore que la France l'accepte… ».

« Cela fait des années que les Flamands ont un problème d'identité. Pour eux le moment est venu de prendre leur revanche économique et culturelle. » Voilà comment Antonio Colin, un ingénieur qui a travaillé cinq ans en Flandres, analyse la situation après le vote de rejet de la Belgique et de la royauté. Selon lui, la transition ne se fera pas de manière brutale : « Les Flamands vont commencer par régionaliser secteur par secteur pour finir avec la sécurité sociale, l'emblème de la solidarité Nord-Sud ». Pour Antonio Colin, la Belgique s'avance vers un système confédéral, à l'instar de la Suisse. « Si la Flandre venait à demander son indépendance, les vingt-sept pays membres de l'Union européenne devront donner leur accord. Et là, ce qui reste de la Belgique opposera son veto ».

Benoit Cusin à Bruxelles
Repères

1989 : 31 Etats 2010 : 45 Etats

L'Europe compte 45 Etats si l'on compte la Turquie, les quatre principautés ou duchés et Vatican. En vingt ans, un pays s'est réunifié (l'Allemagne), trois se sont disloqués (URSS, Yougoslavie, Tchécoslovaquie).

Et la France

Hier, les deux départements de Savoie et les communes de l'ancien comté de Nice fêtaient le 150e anniversaire du rattachement à la France. La carte actuelle de la métropole (Corse comprise puisque rattachée en 1768) est donc la même qu'en 1860, lorsque le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel, rendit ces deux territoires en remerciement de l'aide apportée pour unifier l'Italie. Depuis l'Alsace et la Moselle ont été temporairement allemandes (1870-1918 et 1940-1945).

Portugal : le plus ancien

Les frontières européennes actuelles du Portugal datent de 1204. C'est un record sur le continent, même si depuis 30 ans, le pays lusitanien n'a jamais été aussi petit du fait de la perte de son empire colonial. En deuxième position vient l'Espagne, dans ses frontières actuelles de 1815 (retrait de la France). Avant, la dictature franquiste a néanmoins toujours été un pays fédéral, statut qu'elle retrouve petit à petit aujourd'hui.

Les revendications

Indépendance : pays basque, Ecosse, Padanie (Italie du nord), Flandre.

Extensions : La Hongrie souhaite s'étendre aux régions slovaques, roumaine,s serbes à population hongroise.

Autonomie plus large : Catalogne, Transnistrie, Corse.

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