Deux inconnus à la tête de l'Europe. Après une dizaine d'années de réflexion pour rendre l'Union européenne (UE) plus efficace et plus influente dans le monde, après être laborieusement venu à bout de la ratification du traité de Lisbonne qui dote l'Union élargie de nouvelles institutions, les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement, réunis jeudi 19 novembre à Bruxelles, ont choisi deux leaders sortis de l'ombre.
Au poste de président du Conseil européen, le peu visible et néanmoins estimé premier ministre belge, Herman Van Rompuy, 62 ans ; à celui de haut représentant pour les affaires étrangères, la commissaire britannique Catherine Ashton, 53 ans, jamais élue, jamais ministre, peu expérimentée en matière diplomatique. Britannique, femme et de centre gauche, elle rassemblait trois critères nécessaires au délicat équilibre requis entre les postes de responsabilité européens.
On avait fait miroiter un président flamboyant. Felipe Gonzales, brillant président du gouvernement espagnol pendant douze ans et proeuropéen convaincu. Le contesté Tony Blair, l'inventeur du New Labour, trois fois élu à la tête du Royaume-Uni, déconsidéré par sa croisade en Irak auprès de George Bush. Le plus discret Jean-Claude Juncker, visage de l'Europe depuis toujours.
On avait suggéré que, faute d'opter pour un président du Conseil au charisme fort, le haut représentant y subviendrait. On avait laissé filtrer les noms du Britannique David Miliband, de l'Allemand Joschka Fischer, du Français Hubert Védrine. On semble en revenir à cette Europe sans visage dont le traité de Lisbonne, prétendument, ne voulait plus.
"J'ai toute confiance qu'ils ne diront pas de bêtises", a voulu rassurer la chancelière allemande Angela Merkel, à l'issue du dîner des dirigeants, dans le bâtiment du Conseil européen.
Défendre leur choix, jeudi soir, n'était pas pour les Vingt-Sept la tâche la moins délicate. Avec ces personnalités inconnues pour donner un visage à l'Europe, la déception dans les milieux proeuropéens est manifeste. Les eurosceptiques se moquent.
Le premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays assure actuellement la présidence tournante de l'UE, a salué un choix "unanime", fait à l'issue d'une sélection "minutieuse". "Le visage de l'Europe, c'est le visage de l'unité de l'Europe", a renchéri Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat s'est réjoui que les nominations aient été bouclées en deux heures sans psychodrame. Il a défendu le caractère trempé de M. Van Rompuy.
"Pourquoi juger avant de connaître ?, a demandé M. Sarkozy. Si le reproche qu'on lui fait, c'est de ne pas être déterminé et d'être trop souple, vous risquez une sacrée surprise !", a mis en garde le chef de l'Etat. M. Van Rompuy "est l'une des plus fortes personnalités autour de la table du Conseil", a-t-il assuré.
M. Sarkozy a aussi justifié le choix de Catherine Ashton. Pour autant, il a été bien en peine de vanter son expérience ou ses convictions. L'Elysée la connaissait à peine jeudi matin et les services concernés ont dû vérifier qu'elle s'efforçait d'améliorer son français. Alors il invoque des arguments politiques : elle est une femme, elle est travailliste, elle est britannique : "Nous avons intérêt à envoyer le signal à nos amis anglais qu'ils sont en Europe, qu'ils comptent en Europe, que nous avons besoin d'eux", argumente M. Sarkozy, alors que s'annonce au Royaume-Uni la victoire des conservateurs eurosceptiques, en 2010.
Catherine Ashton, informée de sa nomination en fin d'après-midi, a improvisé sa déclaration. "Le fait de ne pas avoir préparé de discours est à la mesure de ma surprise", a-t-elle concédé.
Pressenti depuis deux semaines, M. Van Rompuy a, lui, soigné son entrée en fonction en lisant une longue déclaration d'intentions et a affirmé "attendre avec impatience le premier coup de fil de Barack Obama". Au lieu de cela, le chrétien-démocrate belge n'a eu droit qu'à un communiqué de Washington. Trois heures après son élection, la Maison Blanche a fait savoir qu'elle aurait à coeur de travailler avec lui, le président du Conseil, avec Catherine Ashton, la nouvelle responsable de la diplomatie européenne, mais aussi avec José-Manuel Barroso, président de la Commission.
En un communiqué, tout est dit : l'Europe, à qui l'ancien secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger reprochait de ne pas avoir de numéro de téléphone en a désormais trois. Et les Américains sont toujours aussi perdus face à cette Union si complexe.
Le tandem Van Rompuy-Ashton doit désormais apprendre à diriger ensemble l'Europe. La répartition des compétences entre ces deux personnalités et le président de la Commission reste particulièrement enchevêtrée.
La dispute a commencé dès jeudi : invoquant sa "responsabilité spéciale", M. Van Rompuy annonce qu'il participera aux grands sommets internationaux, comme le G20, qui engagent les Vingt-Sept. A son côté, M. Barroso fronce l'oeil, concède que le nouvel élu incarnera la diplomatie européenne. "Pour tout le reste, c'est la Commission qui dispose d'une compétence extérieure", prévient-il.
Pour aboutir à ces nominations, les tractations ont été menées à huis clos en tenant compte d'un subtil jeu politique de chaises musicales, afin de contenter tout le monde. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, a accepté d'abandonner la candidature de son prédécesseur Tony Blair à la tête de l'UE. En contrepartie, on a offert à son pays le poste de haut représentant et M. Brown a décidé de proposer Mme Ashton.
La solution plaisait. M. Barroso souhaitait une femme à la vice-présidence de la Commission. Le leader du groupe des socialistes européens, l'eurodéputé Martin Schulz, exigeait de longue date qu'un socialiste pilote la diplomatie européenne, après la désignation du conservateur Barroso à la tête de la Commission. "Barroso peut être content, remarque un ancien ministre français, il devient le seul Européen connu. Le grand vainqueur du scrutin, c'est lui !"
Marion Van Renterghem et, à Bruxelles, Arnaud Leparmentier et Philippe Ricard
vendredi 20 novembre 2009
Un duo d'inconnus nommé à la tête de l'Europe
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