TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 15 septembre 2014

Au fait, comment écrit Valérie Trierweiler?



Jacques Drillon a lu "Merci pour ce moment". Verdict: tout le monde n'est pas Marcela Iacub.

 Ce livre n’est pas qu’une affaire, bonne pour l’auteur, son éditeur et son agent littéraire, mauvaise pour François Hollande; c’est aussi un livre, fait de phrases françaises. Valérie Trierweiler est d’ailleurs critique littéraire «En quoi le fait que j’écrive sur des romans peut gêner quelqu’un?» se demande-t-elle.
En rien, en rien. Mais on déplore que cet ouvrage ne soit pas un fac-similé de manuscrit: il y aurait eu sûrement des petits ronds sur les i, à la place des points. Car Trierweiler écrit comme une fillette de douze ans, et pas précoce. Des phrases à nez retroussé, des phrases à couettes, des phrases pleines de taches de rousseur. Mais attention, pleines de petits malheurs, comme dans un journal intime:

Je mesure [sic] ce soir-là l’expression "pleurer toutes les larmes de son corps". Comme des insectes qui se cognent à la vitre, des pensées vont et viennent dans ma tête. Comment a-t-il pu me faire ça? Si nous nous aimons toujours, comment en sommes-nous arrivés là? Je pars le lendemain en Inde. Je me raccroche à cette perspective comme une naufragée à sa bouée.
(En Inde elle roule sur des «routes chaotiques», mais pas cahoteuses du tout.)
Cette jeune adolescente («Deux jours plus tard, nous avons une conversation. Dure. Très dure.» «J’ai les idées noires, très noires.» «Je lui écris que je l’aime toujours. Je suis en état de souffrance permanente tant son indifférence m’atteint»), cette jeune adolescente doit avoir un peu de mal à ranger sa chambre.
Quelle pagaille, ce livre ! Elle mélange le passé lointain, le passé proche, hier, avant-hier, met des flash-back dans les flash back. Mais elle prend des résolutions, «dès le soir même»: elle met des dates – et puis oublie. De toute façon tout est au présent. C’est simple et de bon goût. Mettre de l’ordre dans ses idées, c’est bon pour ceux qui n’ont jamais logé à l’Elysée.

"Mon coeur se serre"

Elle a lu beaucoup de livres (qui l’ont sauvée, dit-elle). Elle sait donc qu’il ne faut jamais se priver de quelques clichés bien sentis, que «mon cœur se serre», que «les souvenirs affluent» qu’«une vague de nostalgie m’envahit», et qu’on «se ferme comme une huître». Qu’il faut savoir enchaîner les merveilles, et viser le poétique, sans craindre la surenchère: «Dormir sans rêver, sans la douleur qui creuse son sillon, sans la colère qui me ravage, le manque qui me dévore.»
Parfois, elle a une formule qui vous va directement à l’estomac:«Tout le monde court partout.» En bonne rebelle, elle prend des libertés avec la syntaxe, quand elle veut, où elle veut (elle a été première dame, tout de même): «Son visage irradie d’un bonheur intense.» Il y a même un moment où elle écrit à l’imparfait. Cela fait l’effet d’une bombe, une bombe qui vous submerge de larmes, comme elle dirait. Parce que c’est atrocement nostalgique:
Je faisais des crêpes ou des gaufres le mercredi après-midi. Nous partions en promenade, c’était encore l’âge des cabanes dans les bois. J’adorais traîner dans les jardineries à la recherche de nouvelles fleurs à planter. J’aimais tondre et jardiner. J’attendais le retour du printemps et du lilas, puis des cerisiers en fleurs avec impatience. J’aimais ça.
(Notez cet « avec impatience», joliment rejeté en fin de phrase.)
Mais surtout elle cultive une concision toute latine :
On appelle cela le contrecoup, paraît-il. Comme si le coup ne faisait pas suffisamment mal. Il en faut un autre. Un aller et un retour. Deux gifles. L’une dans un sens, l’autre en contresens. À peine le temps de se relever, il faut supporter un deuxième assaut.
On en redemande !
Parfois, rien à faire, on éclate de rire. Elle raconte qu’à un Noël des enfants, à l’Elysée, elle invite des petites orphelines et une jeune paralytique en fauteuil.
Je demande à la directrice du cabinet du Président, Sylvie Hubac, la permission d’acheter six sacs de la créatrice Vanessa Bruno, dont les adolescentes des beaux quartiers raffolent.– Mais c’est cher, prends plutôt des imitations, me répond-elle.Comme quoi on peut avoir fait l’ENA et manquer de bon sens.– Sylvie, c’est impossible ! Nous sommes à l’Elysée, nous ne pouvons pas offrir de la contrefaçon !
C’est beaucoup plus drôle que les sans-dents ! Chaque phrase de cette histoire est une merveille. 

"J'étais raide dingue de lui"

Et puis on en apprend de belles. Son rôle était fondamental, l’a toujours été: «Juste avant le Congrès, j’ai une idée pour lui, pour nous; j’achète une nouvelle voiture.» Elle a même fait courir des risques à la France:
À ce moment-là, François sait encore perdre du temps. Nous sommes complices, il me fait rire pour un rien. Ou me rend folle quand il joue sur la réserve d’essence alors que nous sommes perdus en rase campagne.
Il paraît qu’il y a une métaphore dans son livre, tout le monde en parle, tout le monde la cherche. C’est une pure médisance, car il y en a deux: «Les téléobjectifs sont des microscopes des sentiments»et «sa force de persuasion est nucléaire». Mallarmé n’a pas lu ça ! Il y aussi une comparaison, mais nous ne l’avons pas notée, un chiasme («J’étais raide dingue de lui. Avec le temps je devenais dingue et raide»), et une citation (Kafka, vers la fin). Il y a tout dans ce livre.
Mais pas de politique, dieu merci. Cela l’ennuie beaucoup, la politique, bien qu’elle en fût spécialiste, autrefois. On ne le regrette pas. En revanche, comme elle imagine qu’on lit son livre pour elle, on sait tout de ses déjeuners, de ses petits déjeuners, de ses dîners, de ses plateaux-repas, des escaliers qu’elle monte, qu’elle descend, des robes qu’elle enfile, qu’elle change, de ses interminables voyages en Afrique, et surtout des apparitions chichement mesurées de son président tant «aimé», qu’elle se garde bien d’étouffer sous trop de matière grise, et qui fait comme il peut, le brave homme, pour avoir le plus de travail possible.
Qu’il puisse être atteint par ce livre, «écrit avec mes larmes, mes insomnies et mes souvenirs», en dit long sur l’état, c’est le cas de le dire, de ce pays.
Jacques Drillon

0 commentaires: