A propos de l'affaire Leonarda, certains élus de la majorité présidentielle parlent de «rafles». Le propre de la désinvolture avec la vérité historique est d'ignorer le mal qu'elle entraîne.
L’on découvre ainsi à quel point le Parti socialiste, sous la houlette d’Harlem Désir, n’est pas un parti de gouvernement, de responsabilité, mais un club de culturistes de la posture.
L’on découvre que les socialistes ne sont d’accord sur rien. Ainsi pour certains, « être de gauche ce n’est pas régulariser tous les sans-papiers » quand d’autres réclament précisément de le faire. Les positions le plus contradictoires cohabitent au PS parce qu’il a été stérilisé par le non-débat pendant la décennie de sa gestion par François Hollande. Stérilisation du PS d’ailleurs poursuivie au gouvernement, le grand débat sur l’immigration annoncé par le Président à l’Assemblée nationale avant juin 2013 ayant été reporté après les municipales. « La question de l’immigration reste aujourd’hui un des plus gros impensé de gauche », note ainsi Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean-Jaurès (les socialistes qui veulent penser créent des fondations, il y a en aujourd’hui une dizaine autour du PS…)
L’on découvre que le président de l’Assemblée nationale, temple de l’élaboration de la loi, estime - comme un évêque intégriste ou un imam salafiste - qu’il y a des choses plus importantes que l’application de la loi.
L’on découvre que le Front national trouve ses meilleurs soutiens à gauche. En expliquant que Manuel Valls doit retourner « chez lui », qu’il faut « le rendre à Le Pen », Jean-Luc Mélenchon ne fait que conforter ces ouvriers qui n’ont jamais voté pour lui en leur disant que leur vote pour le FN n’est pas un problème, puisqu’il est déjà présent dans un gouvernement de gauche.
Mais la découverte la plus grave, la plus préoccupante, est peut-être ce qui sort de certains cerveaux de gauche après deux décennies de « devoir de mémoire ». Déjà, il y a quelques jours, Daniel Cohn-Bendit dénonçait Manuels Valls en mixte de Laval et de Bousquet : « Il y a des gens, qui il y a une soixantaine d’années, parlaient de la même façon des Roms et des juifs… Ils ont fini en camp de concentration ». (Cohn-Bendit confond d’ailleurs camps de concentration et camp d’extermination, mais l’inculture historique est une constante des grands donneurs de leçons historiques).
Aujourd’hui, à propos de l’affaire Léonarda, c’est une sénatrice verte, Esther Benbassa, membre de la majorité présidentielle qui a surenchéri : « Moi qui pensais que la France n’avait pas perdu la mémoire de sa sombre histoire, j’étais loin d’imaginer qu’en 2013, en tant que parlementaire, élue du peuple, je serais témoin d’une rafle. Car oui, il faut bien le dire, c’est une rafle. Certains Francais auraient-ils la mémoire si courte ? » Et elle fut rejointe par un notable socialiste du Nord, le député Bernard Roman : « Aller chercher un enfant dans une activité scolaire, ce n'est pas une expulsion, c'est une rafle », ajoutant qu’il revendiquait « un devoir non seulement d'indignation, mais d'insurrection ».
Ajoutons que nombre de commentateurs ainsi « insurgés » contre Manuels Valls et ses rares soutiens de premier plan – principalement Ségolène Royal et Jean-Pierre Chevènement - se permettent de faire parler la grande résistante Lucie Aubrac disparue en 2007 dont le collège de Léonarda porte le nom, mais leur mémoire inexacte sur l’histoire longue l’est autant sur l’histoire courte : Lucie Aubrac fut la présidente du Comité de soutien de Jean-Pierre Chevènement à la présidentielle de 2002, époque où il était déjà présenté comme la résurgence de Vichy par BHL et sa basse-cour de perroquets…
Ces comparaisons avec Vichy et le nazisme ne sont pas seulement obscènes et sacrilèges, elles sont dangereuses et coupables. Mais elles n’ont guère suscité les déclarations indignées habituellement promptes à dénoncer le moindre « dérapage », ce qui montre leur acceptation. Il y a des mots du passé sacrés, chargés de honte ou de gloire, de drames ou de sacrifices, qui ne nous appartiennent pas et avec lesquels l’on n’a pas le droit de jouer. Le débat politique est trop pollué par cette indécente désinvolture avec le passé le plus tragique auquel trop d’inconscients cèdent souvent à gauche. Car le propre du « politiquement correct » à la française est de vichyser tous les débats. Ce n’est pas nouveau.
On se souvient que l’association Act up, partenaire fondateur du Sidaction, avait assimilé le sida à l'extermination et les malades atteints aux victimes du nazisme et de l'indifférence des Français, accusés d'homophobie criminelle : « En 1940, ils regardaient passer les trains; aujourd'hui, ils contemplent l'hécatombe! » proclamait ainsi une affiche de l'association. Même un professeur au Collège de France, Pierre Bourdieu, avait cédé à cette vichysation en traitant le philosophe Alain Finkielkraut de collabo, parce qu'il accepte de participer à des émissions de télévision...
Et surtout, l’on se rappelle les manifestants contre les lois Pasqua sur l’immigration défilant à la Gare de l’Est en tenue rayée de déportés avec une valise et un baluchon sous des pancartes assimilant le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré à Pétain. Prédécesseur de Jean-Luc Mélenchon, Michel Rocard avait cru bon déclarer alors que ces lois avaient, chez lui, « réveillé l'angoisse que symbolisent les noms de Bousquet et de Papon ».
A l’époque, ces inepties, qui provenaient pour l'essentiel d’une génération qui avait défilé en criant « CRS = SS » et qui voyait en de Gaulle un « fasciste », provoquaient les mises au point d’acteurs conscients des enjeux véritables du devoir de mémoire. Quelques grands résistants étaient encore en vie pour ne pas laisser passer ces scandales : Jean Mattéoli, résistant déporté à 22 ans et président de la Fondation de la Résistance, avait ainsi qualifié la mise en scène de la Gare de l’Est de « simulacre totalement indécent ».
Et, évoquant des « familles de déportés abasourdies » par ces « abus », Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles de déportés juifs de France, avait déclaré que « manifester avec des valises »était grave, « car cela banalise ce qui s'est passé il y a plus de cinquante ans ». Serge Klarsfeld pointait ainsi, au-delà de leur obscénité, les conséquences terribles de l’irresponsabilité des Benbassa et autres Roman à une époque où l’inculture historique progresse et où les réalités criminelles du XXème siècle sont de plus en plus difficiles à évoquer avec des jeunes générations perméables aux rumeurs les plus dingues.
Le propre de la désinvolture avec la vérité historique est d'ignorer le mal qu'elle entraîne. La plupart de ceux qui transforment l'Histoire qu’ils ignorent en libre-service à la disposition de leur bonne conscience ne se doutent pas de l'effet de leurs métaphores. Non seulement ils méconnaissent l'une des exigences minimales du devoir de mémoire - le respect pour le destin des victimes, des morts et de tant de vies brisées -, mais encore ils banalisent dangereusement les événements de ces époques tragiques. Ils ne voient pas que, en répétant que la France d'aujourd'hui est à l'image de celle d'hier, ils laissent entendre que, finalement, Vichy n'a pas dû être si terrible que cela.
Car dire que les sans-papiers renvoyés chez eux en Afrique et les Roms roumains expulsés chez eux en Roumaine rappellent le sort que les Juifs arrachés de chez eux et exterminés dans une chambre à gaz, ainsi que nous le répètent aujourd’hui tant de dangereux rebelles, c’est laisser entendre que, c’est donc bien vrai, aucun génocide n’a eu lieu et que les juifs n’ont pas été plus maltraités que Léonarda interviewée au journal télévisé à son arrivée au Kosovo.
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