TOUT EST DIT

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lundi 25 mars 2013

Les affaires sont les affaires

Les affaires sont les affaires


Durant les périodes où tout va mal, les grands scénaristes américains, tel Aaron Sorkin, proposent des séries - que l'on appelait autrefois des feuilletons -, diffusées par les télévisions du monde entier. Ils nous tendent un miroir où se reflètent les crises successives, financières, économiques, politiques, et notre incapacité d'en sortir. Depuis quelque temps, la justice est devenue le cadre privilégié pour le déroulement de l'action. Les héros travaillent dans de grands cabinets d'avocats ou dans les bureaux des procureurs. Ils "règlent leurs comptes" aux puissants corrompus de la finance et de la politique, sous le regard des médias en crise, eux aussi, qui cherchent un nouvel élan pour sauver la démocratie, comme dans Newsroom, le dernier-né de ces petits chefs-d'oeuvre.
La France, malgré son prodigieux héritage littéraire en matière de feuilleton, a du mal à écrire et à produire ce genre de spectacles. La télévision française propose, elle, en période de crise un autre genre d'épisodes quotidiens, qui se passent dans une réalité souvent bien plus sidérante que la fiction. On appelle cela "les affaires". Pour être "bon" et "efficace" dans ce domaine, il faut que la tradition judiciaire soit imprégnée par le génie littéraire. Cela se mesure immédiatement dès la formulation des "motifs" choisis par les juges pour les mises en examen. Là, le téléspectateur sait tout de suite que le spectacle peut commencer.

Les scénaristes américains n'arrivent pas à la cheville de la magistrature française

Prenons les épisodes en cours, ils parlent d'eux-mêmes. Dans l'affaire Sarkozy, nous avons un ancien président de la République mis en examen pour abus de faiblesse sur la femme la plus riche du pays afin de financer sa campagne électorale. Dans l'affaire Cahuzac, c'est un ministre du Budget pour qui le premier motif porte sur le soupçon de blanchiment de fraude fiscale à propos de fonds qui viendraient, c'est le second motif, de la perception de pots-de-vin par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale. Dans l'affaire DSK, ancien patron duFMI et favori de l'élection présidentielle, il s'agit de complicité de proxénétisme aggravé en bande organisée et de recel d'abus de biens sociaux. Voilà déjà pour les affaires en cours, en attendant les suivantes (Tapie-Lagarde, Karachi et autres surprises à venir). Les scénaristes américains peuvent toujours s'accrocher, ils n'arrivent pas à la cheville, dans l'art de la narration, de la magistrature française. Pas une seule chaîne américaine n'accepterait un tel synopsis, qui serait considéré comme "too much".
Mais oui, en France, comme l'avait bien compris Octave Mirbeau, il y a un siècle, dans sa pièce qui fut un immense succès Les affaires sont les affaires, nous aimons particulièrement nous repaître du cynisme d'une réalité que nous imaginons à l'oeuvre derrière le décor et les ors de la République. La date de sa remarquable adaptation au cinéma par Jean Dréville, avec un Charles Vanel plus vrai que nature, n'est elle-même pas tout à fait innocente. C'était en 1942. L'accumulation des affaires, on le sait bien, depuis toujours, est le signe de systèmes qui ne parviennent plus à traiter les problèmes de la vie quotidienne des citoyens. Quand le pain risque de manquer, même si ce n'est que symbolique, il faut lui offrir les jeux du cirque. Il n'est pas surprenant que ce soit la justice qui leur serve de décor. Il suffira donc d'un pouce dirigé vers le haut ou vers le bas pour décider du destin de nos héros.

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