TOUT EST DIT

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jeudi 21 juin 2012

Hollande et l'empire médiatique 


La France, donc, expédie son président, nanti d'une troupe parlementaire à sa main, vers le plus périlleux casse-tête de l'après-guerre. Ni le monde ni l'Europe ne lui feront des faveurs gratuites : le socialisme de l'exception française y sert partout de repoussoir. S'afficher en Europe à la tête d'un Sud perclus et endetté ne lui vaudra que les faveurs "discount" de la classe touriste. A lui donc, s'il le peut, de réinstaller la France en première. Et pour cela d'inventer, ce qui est dans ses cordes, une social-démocratie enfin rénovée.
À l'intérieur, la confiance populaire ne tombera pas du ciel. Le bilan électoral est trompeur. Il laisse dans le flou 19 millions d'abstentionnistes, 4 millions d'électeurs du Front de gauche à la présidentielle et les 6 millions du Front national laminés par le scrutin majoritaire. Et quid, à l'heure de la diète, des électeurs socialistes à qui l'on fait croire que Sarkozy est le seul coupable de trente ans d'enlisement national ? Ces masses imposantes de désabusés, de marginalisés et d'illusionnés réservent leurs sables mouvants à la réforme. Du moins la France envoie-t-elle dans l'arène un homme politique avec mission d'homme d'État.
Dans l'attente de ses décisions, l'opinion interroge sa manière. Elle pèsera lourd. Le style de la présidence aura, on le sait, desservi Sarkozy. Hollande aborde, lui, l'épreuve dans une "normalité" hasardeuse.
On a déjà beaucoup glosé sur le tweet rebelle de sa compagne et la déconfiture de Ségolène, mère de ses enfants. Si l'on abandonne aux blogueurs et blagueurs le gynécée des "dames de France", on découvre, au-delà de l'anecdote, l'empire sur une présidence monarchique du pouvoir médiatique. Il modifie en profondeur la perception par l'opinion de la chose publique. Que la compagne du président soit une future Mme de Maintenon ou une fortuite madame de maintenant, peu importe ! La leçon de l'épisode, incongru dans la gravité de l'heure, c'est que le pouvoir médiatique voit et amplifie tout.
Chez nous, ni la classe politique ni l'opinion ne sont accoutumées à l'investigation du quant-à-soi privé des hommes publics. En France, les médias professionnels rattrapent, là-dessus, leur "retard" avec une ardeur débridée. Il faut dire que Strauss-Kahn dans le scandale et Sarkozy dans la gestion surexposée d'un divorce et d'un remariage se sont jetés d'eux-mêmes sous les projecteurs.
Il reste qu'une certaine presse se rue désormais aux trous de serrure. Des "journalistes citoyens" déploient à tire-larigot caméras cachées, micros cachés, portables fureteurs, usurpations d'identité et autres instruments de la déloyauté publique. Ils ajoutent au déferlement des citations truquées et amalgames biaisés qui eussent condamné saint Paul pour athéisme. Vilaines pratiques !
Mais on n'oubliera pas que le politique, en France, n'est pas innocent. Langue de bois, cumul des mandats, clientélisme, corporatisme, corruption rampante et omerta publique appelaient, un jour ou l'autre, la grande lessive. Malgré l'abus du Kärcher, elle apparaîtra finalement comme un progrès démocratique.
Plus importante encore est l'emprise sur les foules des réseaux sociaux et de l'univers numérique. Leur masse se déploie au gré mobile des techniques et des moeurs. Saisis par la passion individuelle d'expression collective, un demi-milliard d'hommes sont sur Facebook. Sur Twitter, le narcissisme de l'auteur rencontre la ruche virtuelle de la communauté connectée. Si Mme Trierweiler, bien avant la présidentielle, disait avoir la confiance de François Hollande, "hors les tweets", c'est parce que le tweet est d'abord un message que l'on dit à soi-même. La politique installe un peu d'ordre dans cette révolution : le compte Twitter de Michelle Obama est contrôlé par son staff. Chez nous, pas encore. On y vient.
Ce que je retiens ici, c'est que l'État, agent de la cohésion collective, va devoir compter avec des réseaux qui s'autonomisent. Ils agissent puissamment dans la jeunesse, "sans la médiation de la famille et de l'école, grands transmetteurs de jadis". Ils socialisent en réalité "autrement". Ils renouvellent les composants de l'appartenance qui fonde l'idée de Nation. Dans la dépendance addictive qu'ils suscitent déjà, ils déconnectent de la réalité physique et des contraintes de la vraie vie. "On n'y est plus tout à fait en société, on n'y est plus tout à fait soi-même." (1).
Le nouvel espace médiatique va-t-il ensemencer notre civilisation comme l'imprimerie, le livre et les grandes découvertes du monde ont enfanté, il y a cinq siècles, notre Occident ? Va-t-il plutôt renforcer, chez nous, la décomposition sociale ? Son mystère ajoute aux énigmes d'un quinquennat historique.

1. Olivier Ferrand sur la révolution médiatique (Le Débat n°170).

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