Du Nutella tarif prison !
Dostoïevski faisait, au 19ème siècle, la constatation qu'on pouvait
juger du degré de civilisation d'une société en entrant dans ses
prisons. Si cette citation devait s'appliquer maintenant en France, les
conclusions qu'on pourrait porter sur la société française seraient
stupéfiantes. En pratique (et cela rejoint un récent billet),
on en déduirait que le curseur indiquant le degré de civilisation de la
société française pointe maintenant vigoureusement sur N'Importe
Quoi...
Dans une société à la limite de la civilisation, les prisons sont des
mouroirs sordides et glauques dans lesquels la lie de l'humanité se
mêle à de pauvres hères condamnés sans clémence dans une lutte
épouvantable pour savoir qui aura le privilège de grignoter le dernier
cafard.
Dans une société civilisée, les prisons accueillent les condamnés
dans un cadre spartiate qui leur permettra de chercher à racheter leur
faute tout en les écartant de façon contrôlée du reste du monde dans
lequel leurs agissements les ont rendus non désirables. C'est à la fois
un lieu d'expiation, de rédemption et de travail sur soi. Évidemment,
cette vision est une utopie que les sociétés actuelles tentent
d'atteindre avec les moyens limités qui leurs sont alloués. Il n'en
reste pas moins que la prison, si elle a pour mission d'isoler les
individus néfastes, doit aussi leur permettre de s'amender, de se
corriger.
Mais dans la société française actuelle, les prisons n'ont plus rien à
voir ni avec la première acception, ni avec la seconde. L'état de
décrépitude avancée des finances publiques entraîne naturellement les
catastrophes sanitaires et sociales que sont devenues les prisons et
leur permettent, bien souvent, de se transformer en de véritables
centres de formations alternatifs pour la délinquance chevronnée voire
la grande criminalité.
Parallèlement à cette dégradation calamiteuse du domaine carcéral, la
République du Bisounoursland progresse tous les jours plus vite vers
l'idéal coloré d'une société bordée de câlins et de petites attentions
délicates. Voulant à tout prix éviter les heurts et les douleurs de
chacun des individus qui la compose, cette société s'emploie donc à
distribuer des douceurs avec la clairvoyance qu'on peut imaginer
lorsqu'il s'agit d'une gestion étatique. Et ça ne loupe pas : les
prisons françaises, bien que décrépies, se muent doucement en surfaces
commerciales moyennes avec prix discount et Nutella en promo.
On croit rêver, mais non, c'est bien de pâte à tartiner au chocolat à prix discount dont je parle ici, et il n'y a aucune métaphore scabreuse dont les prisonniers pourraient être friands. En effet, on apprend
un tantinet abasourdi, que les produits vendus dans les cantines des
prisons le sont à des tarifs défiant toute concurrence. Et c'est normal :
ces prix découlent directement de l'application stupide d'une décision
typiquement bureaucratique, consécutive au constat de la Cour des
Comptes que les prisons -- surprise ! -- étaient mal gérées et que leurs
cantines vendaient précédemment ces produits à des prix qui frisaient
le farfelu aux petits fers.
En substance, en juillet 2010, la Cour avait dénoncé les abus des
cantines, notant des prix de produits courants (café, eau, chocolat...)
supportant des marges quasiment capitalistiques de plus de 22% et des
écarts de prix de 50% d'une prison à l'autre. Si, maintenant, les
prisons se font des thunes en exploitant les détenus, où va-t-on ? On
commence comme ça, et on finit par priver les méchants de leur liberté
d'aller et venir !
À toute action (de la Cour des Comptes) correspond ensuite une
réaction (de l'administration), et cette constatation n'est pas de
Dostoïevski mais se borne à retranscrire l'effroyable réalité en France
actuellement : rien n'est plus efficace pour saboter le travail de
l’État que ... l’État lui-même : une liste de 200 produits prioritaires a
été établie, les achats groupés faits en conséquence, et les prix fixés
arbitrairement avec la sagacité et la finesse commerciale qui sied à
des établissements publics qui ne doivent surtout pas approcher un
bénéfice de trop près (ça file, dit-on, des boutons).
Moyennant quoi, le pot de Nutella est passé de 3,13€ (prix public) à
1,11€ en prison, le paquet de riz de 500g de 2,70€ à 0,36€, le pot de
confiture de fraise de 450g est passé de 1,45€ à 0,67€, et le Ricoré se
retrouve à 3,45€ au lieu de 4,82. C'est Du Bonheur En Shrink-Wrapped,
c'est génial, c'est Made In République Du Bisounoursland et tout le
monde est content. Enfin, tout le monde, je parle surtout des
prisonniers, à tel point qu'une nouvelle tendance est apparue :
« Avant, les familles apportaient de la nourriture
aux détenus, ce qui est interdit mais toléré dans les faits. Maintenant,
c’est le contraire ! Certains prisonniers ont écrit à leur directeur
d’établissement pour que leur famille profite aussi de ces prix bas et
ils se mettent à poster des colis. »
Snif, snif, vous la sentez bien, cette petite odeur de n'importe quoi
consternant qui s'apparente de plus en plus à du moquage de visage en
cinémascope ?
Parce qu'en réalité, le différentiel de prix ne provient pas
seulement du diabolique entregent des commerciaux des prisons françaises
lorsqu'ils tradent le pot de Nutella comme des malades, avec
leurs 6 écrans bloomberg sur les futures et les cours en direct. Non.
Plus prosaïquement, et comme toujours, pour s'éviter toute approche
malencontreuse avec un équilibre budgétaire qui ferait tache dans
l'océan de dettes financières du pays, le différentiel de prix est
couvert... par le contribuable.
Et là, les câlins et les bisous sentent soudainement le pâté, et les
gardiens de prison, dont le salaire n'est tout de même pas exactement
celui d'un ministre, font un peu la tête. On les comprend : ce
différentiel englouti pour beurrer les tartines des prisonniers aurait
pu permettre d'augmenter leurs salaires… Eh oui : c'est un peu le
problème d'être du mauvais côté des barreaux : on ne bénéficie pas de la
même clémence des éléments.
Tout pot de Nutella mis à part, vous trouvez que j'exagère ?
Même pas. Pour bien illustrer à quel point Dostoïevski se serait
probablement enfoncé le crayon dans l’œil en voyant l'état de la société
française, il suffit de tomber sur un article comme celui-ci
dans lequel on apprend que des habitants de Saintes doivent supporter
les jets de projectiles divers depuis une rue en hauteur, jets qui n'ont
pour le moment causé que des dégâts matériels.
Une bande de jeunes s'amuse en effet à projeter des cailloux et
autres morceaux de carrelage depuis cette rue vers les habitations en
contrebas, provoquant une réponse évidemment ferme, musclée et adaptée
des autorités : nettoyage de la rue en question pour l'en débarrasser de
ses projectiles potentiels, mise en place de petits panneaux sur le
mode "Jeter Des Cailloux, C'est Mal", et une barrière supplémentaire
avec interdiction super super forte de la franchir sinon, non mais.
L'option "Choper les morveux et distribuer des claques" n'a pas été
retenue au conseil municipal, et envisager de mettre des caméras de
surveillance (coûteuses et qui seront probablement détruites assez
rapidement) n'a traversé que furtivement les esprits chagrins de
Saintes. A contrario, les habitants sont inquiets. Oh, pas du risque de
se prendre un morceau de parpaing sur le front. Bien que la probabilité
ait augmenté depuis que la bande de voyous sévit, ce n'est pas ce qui
les turlupine, les braves gens.
« Ce qui me fait peur, c'est que certains gamins grimpent sur le parapet. S'ils tombent, ça peut se terminer en drame »
Et effectivement, glisser du parapet et se tuer alors qu'on voulait
juste lancer un bout de parpaing sur la gueule d'un quidam 30m plus bas,
ce ne serait vraiment, mais alors vraiment pas bisou.
Pas de doute : des prisonniers qui bénéficient de Nutella à prix
cassé payé par le contribuable, des victimes qui redoutent un sort
malheureux à leurs agresseurs, vraiment, vous êtes en République du
Bisounoursland.
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