L’Eurogroupe a accepté ce mercredi la
demande d'aide pour recapitaliser les banques espagnoles et chypriotes.
Reste que l'Europe devrait ouvrir les yeux sur le fait qu'il est trop
tard pour sortir de la crise, plan de sauvetage ou non. Place désormais
aux solutions envisagées outre-Atlantique : une gestion ordonnée de la
faillite des États les moins solvables et des banques trop exposées aux
dettes toxiques.
Alors que les marchés semblaient se réjouir
d'un audit chiffrant à « seulement » 62 milliards d'euros le besoin de
recapitalisation des banques espagnoles, l'agence Moody's a jeté un
froid en dégradant la notation du risque de crédit de 15 grandes banques
mondiales, puis en abaissant de nouveau la note de la dette de 28
banques espagnoles. Le motif ? Il y a trop de créances douteuses dans
leurs bilans.
Le comble de l'absurde est atteint dans la péninsule ibérique, où
des
banques en quasi faillite vont recevoir une capitalisation d'un fond de
secours public, qui bénéficiera d'un prêt de l’État espagnol, lui même
alimenté par des ressources européennes qui restent à déterminer,
fournies par des États eux-mêmes proches du surendettement, comme
l'Italie ou la France. Et tout cela pour quoi ? Pour qu'elles puissent continuer à prêter à l'État espagnol !
Les investisseurs remboursés par l'argent des nouveaux emprunts : nous avons là un
schéma de Ponzi à l'état pur, mais aucun des
Madoff à la tête de nos gouvernements n'ira pourrir en cellule, merci pour eux.
L'argent-dette mal utilisé ne peut être remboursé
Comment
les États du sud de l'Europe espèrent-ils s'en sortir ? Grâce à... Une
relance de la croissance, obtenue par un maintien à un niveau élevé des
dépenses publiques, et donc par un creusement de la dette. Un tel niveau
de niaiserie économique laisse pantois. Rappelons quelques fondamentaux
normalement maîtrisés par tout étudiant en économie.
La
qualité d'une dette dépend de la faculté du débiteur à s'inscrire dans
une chaîne de création de valeur suffisamment performante pour le
rembourser. Si une entreprise investit sa créance dans des
outils de production performants, dont les produits séduisent les
consommateurs, aucun problème. Si cette chaîne de valeur permet aux
salariés de voir leur rémunération augmenter, ceux-ci peuvent sans souci
avoir recours au crédit.
Mais que la
proportion de dettes mal utilisées augmente, et la capacité de
remboursement des débiteurs est menacée. C'est ce qui se passe en
Europe. L'illusion de prospérité créée par la monnaie unique a
permis à des agents économiques de pays peu performants d'emprunter
pratiquement au même prix que les Allemands, et le faible coût de cet
argent facile a favorisé des utilisations de mauvaise qualité. Pour le
secteur privé, trop de ressources ont été allouées, par exemple, à des
maisons sans acheteur, comme en Espagne ou en Irlande. Quant aux
États européens, il y a longtemps que tous utilisent leurs déficits
pour financer les voies d'eau de leurs dépenses courantes, sans aucun
bénéfice pour leur compétitivité.
Aussi la dette augmente-t-elle bien plus vite que la capacité de remboursement des emprunteurs. Et il ne faut pas compter sur une hypothétique croissance pour la résorber : dès
2010, la banque des règlements internationaux, dans une étude restée
hélas confidentielle, montrait que pour ramener en 10 ans leur dette
simplement au niveau d'avant crise, en 2007, les États européens
devaient améliorer leur balance primaire de 5 à 10% de leur PIB, voire
15% pour certains PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne et Irlande).
Malgré
les cris des adversaires d'une austérité encore timide, aucun État n'a
effectué le tiers des efforts nécessaires à cette stabilisation. Et la
croissance nécessaire à une telle performance sans effort budgétaire
significatif est inenvisageable dans une zone Euro qui n'a guère brillé
en ce domaine depuis l'adoption de la monnaie unique.
La dynamique actuelle des dettes publiques est insoutenable
Il faut se rendre à l'évidence : la dynamique actuelle des dettes publiques est insoutenable. Or, l'exposition
des grandes banques européennes à ces dettes se chiffre de 50 à 100
milliards par établissement, sans compter les produits dérivés, et il
faut y ajouter les dettes privées non remboursées, qui atteignent
aujourd'hui 8% des créances en Espagne. D'où l'inquiétude légitime de Moody's vis à vis du secteur financier.
Tout
laisse croire que la crise entre dans une nouvelle phase d'aggravation
très douloureuse. Si l'on s'en tient au cas de l'Espagne, une
recapitalisation des banques signifie que celles-ci ne pourront pas
continuer à garnir leurs portefeuilles d'obligations de leur État
souverain, brisant la chaîne de Ponzi. Or, l’État espagnol a besoin de
plus de 270 milliards de refinancement en sus de la recapitalisation de
ses banques d'ici à la fin 2014
[ii].
Seuls les mécanismes européens de « stabilité », il faut le dire vite,
pourront lui apporter ces sommes... Mais tous les États qui contribuent à
ces fonds sont eux-mêmes surendettés ! Tôt où tard, les investisseurs
décideront que l'Allemagne ne pourra pas à elle seule garantir le
comblement de toutes les voies d'eau de la maison Europe : qui paiera
alors les renflouements ?
Les stratégies de bricolage de fonds de « secours » ou d'
Eurobonds
supposés résoudre les problèmes de dette des États nationaux par une
mutualisation au niveau européen sont en train, à l'évidence, d'échouer
lamentablement. Et Mario Draghi (président de la BCE) a fort
heureusement fait savoir que les mesures exceptionnelles de création
monétaire artificielle depuis la BCE ne sauraient devenir la règle, sous
peine d'un retour à des inflations insupportables. Il faut donc
imaginer rapidement d'autres moyens d'assainir la situation.
D'autres solutions sont possibles...
Lorsqu'une
entreprise est insolvable, elle doit soit négocier un accord de
réduction de dette, généralement en échange de capital de l'entreprise
faillie, soit être liquidée. Un État ne peut être liquidé
(essayez de faire saisir le Parthénon par un huissier...), il faudra
donc, pour les États insolvables, négocier des remises de dette
(« haircuts ») avec leurs créanciers.
Évidemment,
certains objecteront qu'un défaut souverain d'importance entraînerait
nécessairement la faillite de nombreuses banques détentrices de ces
titres, menaçant l'économie d'un grippage total. Pour éviter un tel
phénomène,
les États-Unis ont adopté au mois de mai un
dispositif de mise en redressement des grandes banques piloté par la
FDIC (l'assureur fédéral des comptes courants) prévoyant un
assainissement d'une grande banque en faillite par un mécanisme de
transformation progressif de ses dettes en capital [iii], et surtout aucun appel au contribuable, contrairement aux plans de sauvetage récents.
Récemment,
Michel Barnier, pour le compte de la Commission européenne, a présenté des propositions philosophiquement proches
[iv].
Ces propositions ne sauraient résoudre tous les problèmes, elles
n'empêcheront pas des ajustements douloureux des États-providence, qui
devront de toute façon réduire considérablement leur empreinte
économique, et leurs détails techniques posent encore quelques
questions.
Mais ces plans permettraient, si leurs promoteurs se
révèlent capables de les mettre en œuvre, de s'assurer que de grosses
faillites bancaires n'empêcheraient pas cette économie que l'on dit
« réelle » de fonctionner tant bien que mal pendant que l'économie
financière subirait une très grande purge de ses dettes toxiques. Malheureusement,
faute d'avoir envisagé de telles dispositions dès 2008, bien que
quelques économistes de renom s'en soient dès lors faits les chantres,
il est peu probable qu'un tel dispositif européen de gestion des grandes
faillites bancaires voit le jour avant 2015.
Pourtant, il y a
urgence à ce que les États cessent de faire semblant de croire qu'ils
peuvent sortir de la crise en « bidouillant » des plans de sauvetage
mobilisant des milliards qu'ils n'ont pas, et en creusant leur
endettement sans retenue. Il est trop tard pour essayer de sortir de la
crise en comptant uniquement sur un assainissement des comptes publics
courants, quand bien même celui ci reste indispensable. Une gestion
ordonnée de la faillite des États les moins solvables et des banques
trop exposées à ces dettes toxiques est plus que jamais indispensable,
quelle qu'en soient les difficultés politiques.
[i] BIS Working Paper n°300, « The future of public Debt », mars 2010 http://www.bis.org/publ/work300.pdf?noframes=1
[ii] Sources: analyses de JP Morgan et Royal Bank of Scotland
[iii] Détails sur le site de la FDIC: http://www.fdic.gov/news/news/speeches/chairman/spmay1012.html
[iv] Les échos, 6 juin 2012 : « Michel Barnier : Les banques doivent payer pour les banques »
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