La gauche reprend la politique de Sarkozy mais nous rejoue le grand air des valeurs
Hypocrite comme un journaliste. Ou comme un politologue. Ou comme un
élu. Il était assez amusant, le 18 juin, d’entendre les invités d’Yves
Calvi sur France 2 commenter le tweetgate avec des accents de vierges
éplorées. De Florian Philippot, lieutenant de Marine Le Pen, à Vanessa
Schneider, journaliste au Monde, en passant par Dominique
Reynié, politologue et débiteur d’affirmations qui ne mangent pas de
pain, ce fut un festival de mines outrées et de grands mots.
Comme chacun sait, et comme cela fut abondamment répété, ces histoires
d’alcôve n’intéressent pas nos concitoyens. Comme dirait Audrey Pulvar,
faudrait pas me prendre pour un jambon ! Ce serait donc par pur
masochisme que Le Monde a consacré trois pages à la tragédie politico-amoureuse du Président normal, et que tous les hebdos (à l’exception de Paris Match…)
ont changé leur « une » in extremis ? « Les Français, osa encore la
consœur, ne supportent pas ce mélange public privé. » Je ne sais pas
s’ils supportent, mais ils adorent.
Bien entendu, les estimables personnalités réunies sur le plateau se
sont, comme vous et moi et des millions de Français, passionnées pour le
duel de chipies qui a pimenté la bataille politique de La Rochelle.
Tout simplement parce que, depuis nos rois et reines jusqu’à Nicolas
Sarkozy, l’intrusion des passions dans la raison politique intrigue et
fascine. Sexe et pouvoir, c’est la grande affaire de l’humanité. Des
flots d’encre ayant coulé sous les ponts, on ne reviendra pas sur ce que
l’affaire nous a appris de la douceur féminine et de la personnalité de
la Première Girl Friend – qui, cherchant un nom pour sa non-fonction,
avait retenu, parmi toutes les propositions, « Atout Cœur » et «
Première Journaliste ». Et pourquoi pas Informator ? Cet édifiant
épisode jette en revanche un éclairage nouveau sur la normalité
présidentielle. Oui, François Hollande est normal, trop normal, comme
l’annonce notre « une », concoctée par François Miclo avec l’aimable
collaboration de Raymond Depardon.
Mais plus le Président répète, sur le mode de la dénégation, qu’il
n’est pas Nicolas Sarkozy, plus ce qu’il a en commun avec son
prédécesseur apparaît de façon éclatante : ces hommes radicalement
différents sont précisément des hommes normaux, peut-être même
ordinaires – si on veut être cruel comme Gérard Pussey, écrivain dont je
salue l’arrivée dans ce salon. Exceptionnellement doués sans doute,
courageux assurément, mais aussi lâches que n’importe lequel de leurs
congénères quand il s’agit d’affronter une larme, une bouderie ou une
colère de femme – et ne parlons pas de deux. Pour la résacralisation du
pouvoir, vous repasserez. Ou pas.
Si le Président est normal, le fond de l’air est désespérément banal.
On espérait une bataille d’idées entre la gauche Terra Nova,
multiculturelle et antifasciste, et la gauche républicaine attachée à la
nation. On dirait que, au moins dans les discours, la première a déjà
gagné et que nous sommes condamnés à revoir un film que nous connaissons
par cœur, sempiternelle variation sur un scénario éculé, Marine Le Pen
ayant simplement remplacé son père dans le rôle du Dr No. Pour le reste,
les mêmes injonctions moralisantes des valeureux résistants enfin
sortis de la clandestinité à laquelle la répression policière les avait
condamnés1,
les mêmes niaiseries sirupeuses, les mêmes listes d’idiots utiles et
d’alliés objectifs, les mêmes excommunications – et les mêmes médias,
qui trouveront dans ce vieux filon une précieuse opportunité de
reconversion de leur obsession sarkozyste – seront mobilisés en vue des
mêmes fins : renvoyer à la niche ces classes populaires qui résistent
avec entêtement aux joies de l’avenir radieux et sans frontières dans
lequel elles sont priées de disparaître.
Au PS comme à l’UMP on semble donc avoir fermé avec soulagement le livre du géographe Christophe Guilluy
sur les « fractures françaises », qui a fait office d’évangile pendant
ces quelques mois où personne n’avait de mots assez doux pour ces prolos
sans lesquels nul ne gagne une élection. Du reste, dans l’entretien
qu’il nous a accordé, Guilluy explique qu’après une présidentielle qui
avait mobilisé ces catégories, les législatives ont été une élection
sans le peuple. Retour à la normale : après avoir juré que cette fois on
les avait compris, on s’est empressé, une fois le dernier bureau de
vote fermé, de dénoncer leur esprit étroit, imperméable aux joies du
métissage.
Les commentateurs ont donc unanimement et bruyamment décrété que le
résultat des législatives confirmait l’échec de la « stratégie Buisson
». À les entendre, nous aurions subitement retrouvé nos « valeurs » que
ce salaud de Sarkozy avait cachées on ne sait où, sans doute dans le
même coffre que l’argent qu’il piquait aux pauvres pour le donner aux
riches. Maintenant qu’il a cessé de diviser les Français, nous pouvons à
nouveau nous aimer les uns les autres – il faudra le dire aux Parisiens
qui empruntent la ligne 1 aux heures de pointe, certains ne doivent pas
être au courant.
Les chers confrères vont un peu vite en besogne pour décréter que la «
droitisation ne paie pas » – sachant qu’ils qualifient de droitisation
toute tentative pour répondre aux angoisses exprimées par les classes
populaires sur l’immigration et la sécurité. Claude Guéant n’a pas été
défait par un tenant de la droite dite « humaniste » (l’humanisme en
question consistant paradoxalement à s’asseoir sur les attentes d’une
partie des citoyens), mais par un dissident mieux implanté que lui. Et
parmi les battus, figurent également François Goulard, Hervé de Charette
ou Laurent Hénart, qui ne sont pas, que l’on sache, des représentants
de la droite inhumaine et buissonnière.
En réalité, si on place à part l’ouest de la France, qui a peut-être
rejoint le camp de ceux qui imaginent pouvoir un jour faire partie des
gagnants de la mondialisation, on a plutôt l’impression que si la «
stratégie Buisson » a été sanctionnée, ce n’est pas à cause de Buisson,
mais parce qu’il était trop évident qu’il s’agissait d’une stratégie.
Convaincus que Nicolas Sarkozy, malgré ses discours musclés, ne ferait
pas mieux que François Hollande sur les terrains qui les préoccupent,
nombre d’électeurs se sont dit : « à tout prendre, autant avoir la
retraite à 60 ans. »
La gauche n’ayant aucun autre horizon à proposer que le
libre-échangisme et la réduction des déficits – c’est-à-dire la
politique menée par Sarkozy –, elle a tout intérêt à camper sur sa
supériorité morale. Aussi a-t-elle promptement commencé, notamment par
le truchement de Najet Vallaud-Belkacem, professionnelle du fronçage de
sourcil à visage humain, à déplorer la porosité, les passerelles, les
compromissions entre UMP et FN – l’inénarrable Olivier Ferrand de Terra
Nova ayant déjà dressé la liste des agents doubles, dans laquelle figure
évidemment votre servante, ainsi que les suspects habituels. À l’UMP,
certains, à commencer par Alain Juppé et François Fillon, ont compris
qu’ils tenaient là leur seule chance de faire passer une bataille de
chiffonniers pour un noble affrontement idéologique. Jambons, vous-mêmes
!
En vérité, on voit mal pourquoi il faudrait partager les valeurs du
Front national pour comprendre que son succès n’est pas dû à la
méchanceté ou au racisme des Français, mais au fait que beaucoup le
tiennent – à tort, à mon humble avis – pour le seul parti capable de
défendre avec fermeté ce qui leur importe : une justice qui condamne les
voyous, une immigration qui s’adapte à la tradition nationale, un
système social supporté par tous. Personne ne leur rendra confiance en
leur répétant qu’il faut aimer l’autre et que la différence est une
source de richesses. Dans ces conditions, comme le montre Daoud
Boughezala, il est absurde de poser en termes moraux et sentimentaux la
question d’une éventuelle et future alliance entre l’UMP et le FN.
Le jour où les électeurs frontistes auront la conviction que la
droite « classique » est capable d’entendre leurs inquiétudes et d’y
répondre, le Front national n’aura plus de raison d’exister (on l’a vu
en 2007). Et la gauche devra se trouver un nouvel épouvantail.
Malheureusement, il semble que ce ne soit pas pour demain. Bienvenue
dans le quinquennat anti-Le Pen.
Je rigole, mais fabriquer Marianne et Mediapart dans une cave, ce n’était pas marrant tous les jours. ↩
vendredi 29 juin 2012
Bienvenue en Normalie !
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