Après un an et demi de retard et de déni, la Grèce est en train de restructurer ses dettes. Ceci ne suffira pas en soi à tirer un trait sur la crise de la zone euro. La Grèce devra également réduire la taille de son secteur public, réformer son administration fiscale et prendre d’autres mesures pour moderniser son économie. Ses partenaires européens devront construire un pare-feu autour de l’Espagne et de l’Italie pour empêcher leurs marchés des capitaux et leurs économies d’être déstabilisés. Les banques qui encourent des pénalités sur leurs bilans devront être recapitalisées. Il faudra réparer les failles dans la gouvernance de la zone euro.
Cependant, la première étape indispensable est une profonde dévaluation de la dette grecque – en deçà de la moitié de sa valeur nominale. Le fardeau pour le contribuable grec sera allégé, ce qui est une condition préalable à la réduction des salaires, pensions et autres coûts et ceci est donc essentiel à la stratégie de « dévaluation interne » nécessaire pour restaurer la compétitivité grecque. Forcer les obligataires à accepter une « marge de sécurité » sur ce qu’ils vont percevoir, promet également de décourager à l’avenir les prêts imprudents aux souverains de la zone euro.
Ce qui nous amène à la question de savoir pourquoi il a fallu un an et demi aux décideurs politiques pour en arriver à ce point. La réponse est qu’il y a de fortes incitations à retarder. Le gouvernement grec, pour lequel la restructuration est un aveu d’échec, continue d’espérer que de bonnes nouvelles vont surgir comme par magie. De même, les banques françaises détenant des obligations grecques s’accrochent au moindre reste d’optimisme possible pour faire furieusement pression contre la restructuration. Les décideurs européens, quant à eux, craignent que la restructuration de la dette souveraine ne risque d’endommager le système financier et ne soit un mauvais point pour leur union monétaire.
Les incitations à retarder sont innombrables. La question est de savoir ce que l’on peut faire à leur sujet. Plutôt que de recourir chaque fois aux renflouements et au retard, n’y a-t-il pas là un moyen plus rapide et plus décisif de restructurer les dettes des souverains insolvables ?
Une réponse serait d’ajouter aux futurs contrats obligataires des dispositions contractuelles qui pourraient déclencher automatiquement la restructuration nécessaire. Le concept provient du débat sur la réforme du secteur bancaire, où existe un problème analogue pour les renflouements et les cautions. En raison de la difficulté à mettre les banques dans une procédure comparable à celle d’une faillite, il y a une incitation, semblable à celle qui se pose dans le contexte de la dette souveraine, à reporter le processus douloureux d’imposer des pertes sur les porteurs d’obligations et de fournir à la place un plan de sauvetage et d’espoir pour le meilleur.
Des obligations convertibles d’appoint (contingent convertible bonds) ou « cocos », ont été proposées pour résoudre ce problème. Lorsque le capital d’une banque tombe en deçà d’une limite spécifiée au préalable, ses cocos convertissent automatiquement la dette à proportion égale d’une fraction de leur prix antérieur. De cette façon, les obligataires se portent caution et aident à la recapitalisation de l’institution financière en question.
En étendant cette idée à la dette souveraine, les détenteurs d’obligations d’État pourraient stipuler que si le rapport dette souverain/PIB dépasse un seuil indiqué, les paiements du capital et des intérêts aux obligataires seraient automatiquement réduits. L’idée est que s’il n’y a pas d’incitation suffisante à la restructuration dès le début d’une crise, elle doit être intégrée antérieurement.
Les « cocos souverains » ont cet avantage que leur activation ne constituerait pas un incident de crédit déclenchant les swaps sur défaillance (credit-default swaps ou CDS) souscrits sur les obligations. L’existence de grandes quantités de CDS, avec une incertitude quant à l’identité de leurs souscripteurs, a inspiré la réticence à procéder à la restructuration. Les cocos souverains apaiseraient la crainte de créer un incident semblable à celui d’AIG, dans lequel un souscripteur trop gros pour faire faillite est surexposé.
Les objections à l’encontre de cette idée ont commencé par la question de savoir s’il y aurait une demande suffisante pour ces nouveaux instruments de la dette souveraine. En fait, le succès des banques dans l’émission des cocos suggère que les investisseurs en sont friands.
Il existe aussi un risque que le gouvernement manipule la dette et les statistiques du PIB sur lesquelles se base le déclencheur de conversion. Délocaliser le calcul de ces résultats vers une entité indépendante, comme le Fonds monétaire international, pourrait résoudre ce problème.
Des inquiétudes sont envisageables quant à l’ajout de cocos aux obligations souveraines qui pourraient augmenter les coûts d’emprunt des gouvernements. Mais la littérature sur les instruments connexes, connus comme clauses d’action collective, suggère que les coûts d’emprunt augmenteraient seulement pour les gouvernements approchant de leur limite de solvabilité – c’est-à-dire, proche du déclencheur des cocos. Et augmenter les coûts d’emprunt pour les gouvernements ayant des dettes dangereusement lourdes – ce qui les découragerait de faire d’autres emprunts – est précisément ce que nous voudrions faire.
L’ajout de cocos aux obligations d’État va exiger la résolution d’une multitude de problèmes techniques. Mais ne pas les ajouter est une recette pour obtenir davantage de retard, de renflouements et de chaos, la prochaine fois que les dettes d’un souverain comme la Grèce deviendront insoutenables.
samedi 15 octobre 2011
Des cocos pour l’Europe
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire