L’ombre chinoise les aurait-elle rendus fous ?
L’histoire d’espionnage chez Renault pourrait passer du romanesque à la farce si, entre-temps, elle n’avait livré l’honneur de trois hommes aux chiens. Comment l’un des plus puissants constructeurs automobiles européens a-t-il pu accuser aussi légèrement de corruption trois personnages clé de Renault sans disposer d’aucune preuve formelle de leur hypothétique forfait ?
Il a fallu se pincer hier matin en entendant le numéro deux du groupe faire un début de mea culpa. Comment a-t-il fallu attendre deux mois après la révélation de l’affaire pour découvrir qu’aucune trace de prétendus comptes en Suisse ou au Liechtenstein — sur lesquels auraient été versés les pots-de-vin — n’avaient été trouvés ? Comment un président aussi emblématique que Carlos Ghosn a-t-il pu venir sur le plateau d’un 20 heures prononcer un réquisitoire sans appel contre les auteurs de l’espionnage dont aurait été victime l’entreprise sans détenir la certitude absolue, vérifiée, et recoupée que ses accusations étaient exactes ?
Il est un peu tard pour s’émouvoir d’une telle incurie, comme l’ont fait — justement d’ailleurs — la ministre de l’économie, Christine Lagarde, ou le ministre de l’industrie, Éric Besson… qui n’avait pas été le dernier, pourtant, à embrayer sur le scénario de l’espionnage. Mais l’essentiel va au-delà du jeu des excuses et des hypocrisies de circonstance. Ce que cet épisode met en évidence, c’est la triple précipitation de la direction de Renault, des politiques et de certains médias pour converger dans une dénonciation qui a broyé la présomption d’innocence. La psychose de l’espionnage industriel sur une production phare — un risque bien réel — et le goût du spectaculaire médiatique ont fabriqué un cocktail explosif qui a conduit à un effrayant délire juridique.
Ainsi, la foi dans le travail d’enquêteurs privés a prévalu sur la nécessité d’une enquête judiciaire et même sur la saisine de la très officielle DCRI. C’est bien cette méfiance envers la justice et les services de l’État qui est à la fois la plus scandaleuse — nous sommes encore en république ! — et la plus inquiétante. Elle révèle l’absence de scrupules d’un management qui prétend se passer de la loi française pour régler un problème grave en interne, sans autre forme de procès. La brutalité des méthodes employées envers les accusés, traînés dans la boue sans être informés de ce qu’on leur reprochait, était choquante. Avec le recul, elle apparaît carrément révoltante.
Si seulement ce genre de violence dans l’entreprise n’était qu’un accident, on pourrait soupirer et réclamer simplement réintégration et réparation… Mais le crash de Renault doit résonner comme un klaxon assourdissant contre le soupçon mortel, l’inhumanité de la peur, poisons immédiats d’une guerre économique prête à dévorer ses propres soldats.
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