Dans notre monde si encadré par les mathématiques, si riche en modèles théorisés par les meilleurs ingénieurs, il est frappant que l’on soit tant pris au dépourvu lorsque survient une crise d’ampleur mondiale.
Quand tout va tranquillement, on croit que l’information est partout, qu’il suffit de se baisser pour la ramasser; on la perçoit comme abondante et excédentaire. Mais que le mur de Berlin s’effondre, que la Yougoslavie implose dans la guerre, que les Tunisiens contraignent au départ un président en place depuis 1987 et tous les savoirs qu’on croyait avoir engrangés s’effondrent. Ou plutôt se fragmentent sous nos yeux ébahis.
On se croyait bardés de connaissances, cernés par les messages significatifs et voilà qu’on se retrouve aussi nu que le roi de la fable. Cela doit nous conduire à davantage d’humilité dans l’énoncé de ce que l’on prend pour des certitudes. La sociopolitique est comme la science géologique. Elle peut enregistrer des craquements et déceler les fractures, mais elle est impuissante à prédire avec netteté l’ampleur de l’éruption et surtout la date où elle surviendra.
Les changements sociaux obéissent à des processus encore mystérieux, qui nous sidèrent quand ils font irruption. Nous sommes incapables de les annoncer aussi exactement que l’astronome quand il calcule la prochaine éclipse.
Aussi ancrée qu’elle soit dans un territoire dont elle est chargée de surveiller les palpitations, la diplomatie ne parvient pas à relier et à ordonner les fils de la pelote qu’elle a amassée. Trop d’informations tue l’information. Notre monde cerné par la fibre optique et les télécommunications peine à faire le tri, à distinguer l’important de l’accessoire.
Les crises politiques que sont les révolutions soulignent que l’on ne sait pas mesurer l’énergie cinétique, la thermodynamique des populations. Le plus surprenant dans la révolution tunisienne et dans la révolte égyptienne est la rapidité avec laquelle ces changements se produisent. Les barrières psychiques, les options tactiques, les rapports de forces bougent à toute vitesse. On croyait la fameuse «rue arabe» partagée entre la soumission fataliste et la colère sans lendemains. Voilà qu’elle nous donne une formidable preuve de sa réactivité. C’est toute notre façon d’analyser le Proche-Orient qui s’en trouve modifiée.
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