Comme on aimerait que le malheureux Mohamed Bouazizi puisse, comme dans les anciens contes, revenir, même brièvement, sur terre et contempler ce que son suicide par le feu a changé en deux mois. Ce qui aurait pu n’être que le geste isolé d’un Tunisien désespéré par sa pauvreté a provoqué la chute de deux autocrates réputés inamovibles. La première caractéristique de la révolution tunisienne et de sa réplique égyptienne est de secouer intensément les palmiers sur lesquels sont juchés les potentats arabes. On comprend les sueurs de quelques chefs d’Etat au Maghreb et au Proche-Orient: la question de la légitimité du pouvoir y est ouvertement posée en termes inédits.
A coups d’élections truquées et de thermomètres cassés, les leaders arabes se parfumaient à l’idée que leurs peuples exigeaient un pouvoir fort et au besoin brutal, issu en droite ligne des chefs mamelouks de jadis. Le citoyen, cette explosive création gréco-latine, passait pour une curiosité exotique intransportable en Orient, une chimère sans avenir au Caire, à Bagdad ou à Damas. Le suffrage universel était détourné en plébiscite. Le président se félicitait de devenir président à vie et prenait sans se faire violence des manières de satrape. Quant au petit peuple, il était prié de se comporter en une masse lointaine et indistincte de sujets dont on attendait d’abord la soumission. Ainsi l’ordre régnait-il à l’ombre des palais et des mosquées.
C’est cet archaïsme intrinsèque de la pensée politique arabe qui vient de voler en éclats et c’est en fonction de la durée de ce bouleversement qu’on mesurera la réussite ou l’échec des événements actuels.
Contrairement à la triste révolution iranienne de 1979 qui a permis à un pouvoir clérical d’éclipser un pouvoir monarchique, la chute de Ben Ali et de Moubarak est largement due à la révolte et à la détermination des classes moyennes, ces forces émergentes qu’on ne peut manœuvrer à la baguette comme les foules largement illettrées d’il y a quarante ans.
Il serait malheureux que les révolutions de Tunis et du Caire se fassent maintenant avaler par des accapareurs embusqués. Ce danger peut venir de deux forces aussi gourmandes l’une que l’autre: soit les fanatiques amateurs d’une théocratie à l’iranienne et du machisme musulman, soit les défenseurs du système oligarchique qui rêvent de récupérer à leur propre compte le pouvoir tout juste déposé par Moubarak et Ben Ali. Afin de ne pas insulter l’avenir, on voudrait croire que ces alarmes sont vaines.
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