vendredi 10 décembre 2010
La finance dévoyée
L'un des plus fins connaisseurs de la finance internationale (1) proposait, il y a peu, d'étendre aux pratiques spéculatives la législation sur les dettes de jeu et les paris. En cas de contestation, les intéressés sont privés de tout recours. Rien de plus logique que cette proposition, dès lors que la grande majorité des opérations spéculatives consiste dans des paris en vue de réaliser un bonus. Voilà qui contribuerait au rétablissement de la raison.
Car si la pratique est aussi ancienne que l'économie, ses dimensions sont devenues extravagantes, au point que même Georges Soros, grand spéculateur s'il en est, appelait récemment à calmer le jeu. Il sait très bien, en effet, qu'à terme, ce jeu de bulles explosant l'une après l'autre est tout simplement suicidaire. Le risque est à la mesure du gonflement de la masse financière qui a quadruplé depuis 1980, avec des flux quotidiens de 1 200 à 1 500 milliards d'euros... par jour, soit cinq à six fois le budget de la France.
Surtout, le montant des transactions financières internationales est cinquante fois plus important que la valeur du commerce international sur les biens et services. Cela veut dire que seulement 2 % des transactions financières correspondent à une activité réelle. L'essentiel est pure spéculation, jeu de pari dans lequel l'argent devient une marchandise qui s'auto-reproduit. Son poids est tel que le moindre déplacement significatif au gré de l'intérêt, des appétits et des peurs peut engendrer une catastrophe, comme en 2008.
Qui sont les spéculateurs ? Les fonds d'investissement, les banques, les sociétés d'assurances... mais aussi des gens ordinaires qui, ayant de l'argent, veulent en avoir plus sans trop se fatiguer.
Le vrai problème est ailleurs. D'abord, il réside dans l'écart croissant entre les hauts revenus et les autres. Depuis 2004, selon l'Insee, il y aurait 70 % d'individus en plus dans la tranche au-dessus de 500 000 €. Et au sein du groupe des plus aisés (6 000 personnes), le revenu s'étale de 688 000 à 13 millions d'euros ; soit 700 fois le revenu médian. Pour l'essentiel, il s'agit de revenus financiers.
Ensuite, au niveau mondial, les paris sur le cours des matières premières alimentaires constituent un scandale. Si tout peut devenir objet de spéculation, là, on atteint le seuil de l'intolérable. Des centaines de milliers de personnes meurent chaque année, faute de blé ou de riz, rendus inabordables par les casinos du marché qui font que la cargaison de bateaux entiers change de propriétaires, parfois plusieurs fois par jour. Et cela par la cupidité (2) de ceux que l'on nommait autrefois « accapareurs »...
Et que dire, enfin, de l'indécence qui consiste à faire jouer la solidarité nationale au profit d'individus et institutions d'un égoïsme forcené ? Les mille premières banques mondiales totalisent, aujourd'hui, 95 500 milliards de dollars, soit deux fois l'addition mondiale des produits intérieurs bruts (PIB).
La suggestion du spécialiste de la finance (évoquée au début de l'article), couplée à d'autres mesures, plus radicales encore, telle la mise hors-marché spéculatif des denrées alimentaires, pourrait être un premier pas vers la sortie de la barbarie financière. On attend un G20 sur le sujet...
(1) Paul Jorion, L'argent, mode d'emploi, Fayard.
(2) Joseph Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, Actes Sud.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire