TOUT EST DIT

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vendredi 10 décembre 2010

L'Etat, Areva, et le sens français de l'hospitalité

Il y a un an, Nicolas Sarkozy chargeait le député de Haute-Corse Paul Giacobbi de donner son avis sur « les déterminants de l'investissement étranger en France […] , un sujet crucial pour assurer à notre pays une reprise économique durable ». L'été dernier, l'élu radical de gauche rendait son verdict : l'image de la France auprès des bailleurs de fonds internationaux est « caricaturale ». A sa façon, l'interminable feuilleton de l'augmentation de capital d'Areva montre à quel point l'Etat lui-même peut contribuer à cette image d'un pays replié sur lui-même et traitant les investisseurs étrangers avec désinvolture.

Depuis les premiers projets de capitalisation du groupe nucléaire, l'Etat actionnaire s'est retrouvé piégé dans ses contradictions. Incapable d'assumer une politique industrielle digne de ce nom, dans l'un des rares secteurs où la France peut revendiquer une réelle avance. En novembre 2004, le ministre de l'Economie, Nicolas Sarkozy, annonce que « la décision a été prise d'ouvrir le capital d'Areva ». A peine un an plus tard, le Premier ministre, Dominique de Villepin, annule cette décision, estimant « la filière du combustible nucléaire » « stratégique » pour la France.

Ce revirement ouvre la voie à des querelles franco-françaises entre Alstom, présidé par un Patrick Kron auréolé du sauvetage du groupe d'équipement ferroviaire et d'énergie, et Areva, dirigé par une Anne Lauvergeon jalouse de son indépendance. Les deux patrons se livrent une guerre sans merci, qui va faire une victime collatérale. Las de se voir relégué au second rang et craignant d'être écarté du jour au lendemain, le partenaire allemand d'Areva, Siemens, annonce en janvier 2009 sa sortie de leur filiale commune, Areva NP.

Trop occupés à gérer leurs querelles d'ego, ni le groupe nucléaire français ni l'Etat actionnaire n'auront su déceler l'impatience de l'industriel allemand. Dans cette affaire, la France a perdu un partenaire historique dans un secteur industriel clef. Plus grave, elle l'a poussé dans les bras du russe Rosatom. Le mélange de la technologie russe, réputée pour sa robustesse malgré l'image de Tchernobyl, et de la gestion de projet allemande représente une réelle menace pour Areva. Dans l'immédiat, la conséquence concrète de ce divorce est financière. Car le rachat des parts abandonnées par Siemens va coûter cher au camp français. Au lieu de recevoir des fonds que son ancien partenaire était prêt à investir dans Areva, le groupe tricolore va au contraire devoir lui verser un dédommagement estimé autour de 2 milliards d'euros. C'est là que débute le troisième acte de cette tragi-comédie à la française. Pour financer cette dette et les investissements du groupe public, l'Etat prend deux décisions le 30 juin 2009 : la cession de la filiale de transmission et de distribution d'Areva et l'ouverture de son capital. Deux opérations qui, elles aussi, vont laisser un goût amer aux investisseurs étrangers…

Face au duo composé d'Alstom et Schneider, l'américain General Electric et le japonais Toshiba veulent croire en leurs chances d'acquérir Areva T&D. Mais, dans la dernière ligne droite, en novembre 2009, le processus tourne en faveur du tandem tricolore, dans un contexte d'opacité qui contraste avec les promesses de transparence du gouvernement. Alstom et Schneider, c'est vrai, ont mis le prix pour l'emporter. Mais, vu de l'étranger, les dés étaient pipés d'avance. Au Japon, l'amertume est réelle. En France, on s'enorgueillit d'une opération permettant de renforcer deux de nos champions nationaux… C'est alors que s'enclenche l'ouverture du capital d'Areva. Dès le départ, l'Etat dispose de trois candidats potentiels : les fonds souverains du Qatar et du Koweït, et le japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI), partenaire industriel de longue date, avec lequel Areva développe le réacteur Atmea. En de pareilles circonstances, un acteur rationnel cherche à rassurer ses interlocuteurs sur leur investissement potentiel. Une longue période de flottement va pourtant s'ouvrir, l'Elysée choisissant justement ce moment pour confier à François Roussely une mission de réflexion sur la filière nucléaire française.

Le dossier du capital est gelé, le temps que l'ancien patron d'EDF rédige son rapport. Celui-ci remettra en cause le périmètre d'Areva, en suggérant l'ouverture du capital de sa division minière. L'Etat profitera de sa publication partielle pour envisager une prise de participation d'EDF dans Areva. Pour ajouter à la confusion, une lutte féroce s'engage entre Anne Lauvergeon et le nouveau président d'EDF, Henri Proglio. La rumeur d'une éviction de la patronne d'Areva ressurgit comme un serpent de mer, et c'est dans ce contexte apaisé qu'un audit est commandé à René Ricol. Sa feuille de route officieuse ? Faire toute la lumière sur les comptes d'Areva. On a connu méthode plus rassurante pour attirer les investisseurs… Lesquels s'avèrent persévérants ! Comme il l'a fait savoir depuis un an, le Qatar veut avoir l'assurance formelle de pouvoir investir, dans un deuxième temps, dans les mines d'Areva. Au dernier moment, l'Etat décline cette demande. Dans la foulée, il rejette également la proposition du japonais MHI, au motif que sa présence au capital d'Areva serait préjudiciable à son concurrent Alstom et son client EDF. A Tokyo, cette volte-face est vécue comme une nouvelle humiliation. Les pouvoirs publics n'ont guère le temps de s'en émouvoir. Leur principal objectif, aujourd'hui, semble de tenir la promesse du chef de l'Etat, en réalisant coûte que coûte l'augmentation de capital avant la fin de l'année. Le Koweït semble encore prêt à investir, mais pas à n'importe quelles conditions. Faute d'avoir accepté les fonds du Qatar et de MHI, l'Etat va devoir se résoudre à mettre lui-même la main à la poche. Au final, si elle réussit, l'opération apportera sans doute moins d'un milliard d'euros à Areva, qui en espérait le triple. Mais, pour la France, son coût en termes d'image sera, c'est sûr, bien plus élevé auprès des investisseurs étrangers.

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