TOUT EST DIT

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samedi 13 novembre 2010

La science, le doute, et la faute de l'Académie

Le rapport de l'Académie des sciences française sur le changement climatique, publié le 28 octobre, a été unanimement présenté comme une réfutation des thèses climato-sceptiques, très en vogue depuis environ un an. Certes. Mais les choses sont un peu plus complexes. Et, à bien des égards, on pourrait au contraire considérer l'ensemble de l'opération - le débat tenu à huis clos Quai de Conti le 20 septembre et sa synthèse publiée un mois plus tard - comme un succès pour les climato-sceptiques. Dans cette bataille française - semblable à d'autres escarmouches menées ces derniers mois en direction d'autres sociétés savantes -, les tenants de Claude Allègre apparaissent bien perdants du point de vue de la science - comment en serait-il allé autrement ? Mais, politiquement, leur victoire est indéniable.

D'abord, en menant un débat présenté urbi et orbi comme un affrontement d'écoles, l'Académie a fait accroire l'idée que le débat sur les causes du réchauffement en cours s'imposait d'un point de vue scientifique. Or aucune étude publiée dans un passé récent ne rend nécessaire un débat sur la question. Pour la plus grande part de l'opinion, qui n'a suivi l'affaire que d'un oeil distrait, si le débat s'est tenu sous l'ombrelle de la prestigieuse société, c'est qu'il s'imposait. Et qu'en définitive, "les scientifiques ne sont pas tous d'accord". C'est la première victoire des climato-sceptiques.
Plusieurs membres éminents de l'Académie avaient bien fait valoir que celle-ci n'avait pas les moyens de s'ériger en juge de paix sur la question : les spécialistes du dossier qui y siègent se comptent sur les doigts d'une main. Qu'importe : puisque la ministre de la recherche, Valérie Pécresse, avait chargé l'Académie d'organiser un débat scientifique, il fallait qu'il le fût.
Totalement étrangers au sujet mais bardés de certitudes, certains académiciens conviés à débattre ont ainsi commis des impairs trahissant une profonde méconnaissance de la question - voire une inquiétante légèreté. Interrogé sur les sources le conduisant à affirmer (de manière trompeuse) que les climatologues prévoient la disparition du Gulf Stream en raison du réchauffement, un éminent académicien se montra par exemple incapable de se référer à la littérature scientifique : sa source, comme il l'avoua au cours des débats du 20 septembre, n'était autre que Le Jour d'après - le film catastrophe de Roland Emmerich sorti en 2004...
Bien souvent "atterrés" par le niveau des débats, la vingtaine de chercheurs en sciences du climat invités fin septembre à échanger avec les académiciens n'ont en outre pas eu leur mot à dire sur la rédaction du rapport final. Celui-ci, dont certains passages âprement négociés fleurent plus le compromis politique que la science, est paré d'une opacité qui correspond très peu aux canons de la démarche scientifique : contributions écrites maintenues confidentielles, débat à huis clos, version définitive du rapport adoptée en "comité secret" et en l'absence des chercheurs compétents. Et, pour finir, absence criante de toute référence scientifique pour étayer les assertions du texte...
C'est, dans cette affaire, la seconde victoire des climato-sceptiques. Car, même si l'Académie les déboute in fine, celle-ci n'en a pas moins pris un texte en réalité clairement politique. Le fait scientifique y est négocié, des formulations ambiguës - voire franchement alambiquées - stérilisent le propos, et la question centrale des projections climatiques pour le siècle en cours est simplement éludée.
En substance, l'opinion et les médias se sont donc ébahis de ce que l'auguste institution admettait l'idée que le réchauffement en cours était bien principalement dû aux gaz à effet de serre anthropiques, fait établi depuis plus de quinze ans...
L'histoire récente offre une remarquable analogie à la situation actuelle. En 2000, le président sud-africain, Thabo Mbeki, s'était convaincu de la nécessité d'un "débat" sur les causes du sida. Bien sûr, l'écrasante majorité des virologues compétents n'avaient plus, depuis longtemps, aucun doute sur la responsabilité du virus d'immunodéficience humaine (VIH). Mais un petit groupe de scientifiques, dont l'éminent Peter Duesberg, alors professeur de biologie moléculaire à l'université de Californie à Berkeley, membre de l'Académie des sciences américaine et récipiendaire de nombreuses distinctions, persistait à douter sans motif scientifique. De prestigieux savants - généralement non compétents sur le sujet - regardaient d'un oeil bienveillant cette "dissidence" : Kary Mullis, Prix Nobel de chimie en 1993, ou encore le grand mathématicien franco-américain Serge Lang (1927-2005), membre de l'Académie des sciences américaine... Qu'advint-il ? Il ne sortit rien du "débat scientifique" organisé par l'Afrique du Sud, mais le doute ainsi savamment entretenu suffit à retarder le recours aux antirétroviraux. Le coût humain de ces atermoiements est aujourd'hui évalué à environ 330 000 morts.
Sans doute la leçon n'était-elle pas assez claire. En acceptant l'idée même d'un débat scientifique motivé par autre chose que la science, l'Académie n'a pas contribué à démêler la confusion entre la science climatique et sa spectacularisation médiatique ou sa récupération à des fins militantes. Elle n'a pas rendu service à la science.

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