jeudi 18 novembre 2010
Impossibles leçons de 1929
Nous avons beaucoup appris de la grande dépression des années 1930. Keynes, Friedman et bien d'autres ont décortiqué les rouages de cette crise terrible (1). Et, comme nous avons appris, nous évitons le pire depuis la grande récession de 2009. Voilà une bien belle histoire que l'on entend souvent… et qui est hélas fausse. Tout simplement parce qu'il ne suffit pas d'éviter les erreurs de 1929 pour sortir d'une crise de la dette. La preuve par quatre -quatre préceptes considérés comme des leçons majeures tirées des années 1930.
1 Il faut une politique monétaire active
Les grosses bulles spéculatives sont toujours gonflées par le crédit, qu'elles portent sur les bulbes de tulipe au XVII e siècle, l'essor de l'Amérique au XVIII e, les compagnies ferroviaires au XIX e, Internet au XX e ou l'immobilier au XXI e. Quand la bulle éclate, ceux qui ont emprunté manquent d'argent. Les banquiers imprudents qui leur ont prêté sont aussi asphyxiés et l'économie tout entière finit par manquer d'air. C'est ce qui s'est passé en 1930, quand la Réserve fédérale des Etats-Unis a fermé le robinet monétaire. Cette fois-ci, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale ont fait l'inverse : baisse des taux d'intérêt, aujourd'hui encore voisins de 0 % aux Etats-Unis et d'à peine 1 % en Europe, prêts massifs aux institutions financières, puis achats d'actifs financiers en grande quantité - le bilan de la BCE s'élève à 2.000 milliards d'euros et celui de la Fed à plus de 2.300 milliards de dollars. Mais… il ne suffit pas d'injecter de l'argent dans le système financier pour tout régler. Même si les banques centrales font tout ce qu'il faut faire, les particuliers et les entreprises qui ont trop emprunté restent toujours trop endettés. Et ils préfèrent rembourser avant de consommer ou d'investir.
2 Il faut une politique budgétaire active
Après l'éclatement de la bulle, les consommateurs et les entrepreneurs dépensent beaucoup moins. Souvent parce qu'ils manquent d'argent, parfois parce qu'ils craignent d'en manquer. La demande s'effondre. Pour éviter le pire, l'Etat doit prendre le relais. Au début des années 1930, les pouvoirs publics font pourtant l'inverse. Partout, ils veulent réduire les dépenses pour rééquilibrer les comptes publics. Franklin Roosevelt lui-même est élu sur la promesse de réduire la dépense publique de 25 % ! Mais, ensuite, Keynes théorise l'intervention de l'Etat. Et les pays sont vraiment sortis de la crise avec l'effort de guerre, financé par un déficit budgétaire massif. Cette leçon-là a été bien apprise. Dès octobre 2008, les Etats touchés par la crise ont engagé des plans de relance. En 2009, ils ont versé plus de 3.000 milliards de dollars pour ranimer leurs économies. Mais… ils n'avaient pas l'argent en caisse. Ils ont donc dû emprunter, au point de mettre en péril leurs finances. Les investisseurs ont refusé de prêter à l'Islande puis à la Grèce. Maintenant, ils se méfient de l'Irlande et du Portugal. Demain sûrement de l'Espagne. Et après-demain, du Royaume-Uni, de la France et même des Etats-Unis. N'en déplaise à ses partisans inconditionnels, la politique budgétaire a trouvé sa limite.
3 Il faut éviter la guerre monétaire
Pour relancer l'activité quand une crise de la dette frappe un pays, il reste une solution efficace quand les leviers internes ne fonctionnent plus : affaiblir sa monnaie pour exporter plus facilement et freiner les importations. Le Royaume-Uni dévalue dès 1931, les Etats-Unis en 1933. Les pays du bloc or, dont font notamment partie la France et l'Italie, dévaluent plus tard - et leur activité repartira elle aussi plus tard. Mais la dévaluation est un jeu à somme nulle. Ce que les uns y gagnent, les autres le perdent. C'est intenable. En 1944, à Bretton Woods, les délégués de 44 pays créent donc un nouveau système monétaire international, aux parités « fixes mais ajustables ». Mais… au fil des décennies, le système s'est assoupli. Et, aujourd'hui, la monnaie redevient une arme pour protéger sa croissance au détriment des autres pays. C'est évidemment le cas en Chine, au Japon et dans les autres pays qui accumulent des montagnes de réserves de change. La tentation est forte aussi aux Etats-Unis. La pression des électeurs en souffrance est trop grande pour que leurs gouvernants puissent y résister longtemps. La « guerre des monnaies » ne fait sans doute que commencer.
4 Il faut éviter le protectionnisme
La même logique est ici à l'oeuvre : chaque pays cherche à limiter les importations pour préserver sa croissance et ses usines. Dès 1930, le Congrès américain vote une forte hausse des tarifs douaniers sur des milliers de produits. Tous les autres pays ripostent en fermant à leur tour les frontières. Le commerce international s'effondre. Plus jamais ça ! Après la guerre, à La Havane, les délégués de 23 pays signent l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui se muera un demi-siècle plus tard en Organisation mondiale du commerce. Et au premier sommet du G20, fin 2008, les dirigeants prennent l'engagement solennel de maintenir le libre-échange. Mais… face à une crise qui dure, les coups de canif se multiplient dans tous les pays pour préserver d'une manière ou d'une autre une industrie, une région, une entreprise. L'organisme Global Trade Alert en recense 1.339 depuis deux ans ! Comme pour la monnaie, la pression de l'opinion publique monte -et il sera difficile d'y résister.
L'on pourrait citer bien d'autres exemples -le sauvetage des banques, le rôle de la réglementation financière, la panique des gestionnaires d'actifs. La leçon de ces leçons impossibles est simple. Le problème essentiel, ce n'est pas tant la crise que ce qui l'a provoquée : une formidable accumulation de dettes. Un obèse réchappé d'un infarctus doit maigrir s'il veut survivre. Il en va de même en économie. Après l'infarctus Lehman, nous devons maigrir de toutes les dettes en excès. Il y en a pour des années.
(1) Voir une revue bien faite quoique un peu anglo-centrée : « Lessons from the 1930's Great Depression », par Nicolas Crafts et Peter Fearon, publiée en septembre 2010 par l'université de Warwick.Jean-Marc Vittori est éditorialiste aux « Echos »
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