TOUT EST DIT

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jeudi 10 juin 2010

Ordre fragile à Téhéran

C'était il y a un an, le 12 juin 2009. Une élection présidentielle se jouait en Iran entre le candidat sortant, Mahmoud Ahmadinejad, et ses concurrents réformateurs. Le monde retenait son souffle, dans l'espoir d'une ouverture à Téhéran. Les Iraniens, manifestement désireux de changement, attendaient le résultat avec fébrilité. Le pouvoir commença par verrouiller les canaux d'information. Puis, par délivrer le verdict. Ahmadinejad était reconfirmé avec, officiellement, 63 % des voix. Personne n'y crut. Des centaines de milliers de manifestants, les jours suivants, descendirent dans la rue en scandant « Où est passé mon vote ? ». Un mouvement spontané, diffus, innovant, grâce à Internet, était né.

Un an plus tard, le changement n'a pas eu lieu. Au fil des mois, le régime et son principal bras armé, les Gardiens de la révolution, ont imposé une répression progressive. 170 journalistes ou blogueurs ont été arrêtés, une vingtaine de journaux suspendus, des milliers de manifestants arrêtés, souvent torturés, parfois exécutés. Selon Amnesty International, cent quinze exécutions capitales ont été pratiquées depuis janvier. Le régime a mis du temps à reprendre le contrôle de la rue. Il a dû subir de nombreuses semaines de manifestations et de contestation ouverte sur Internet - phénomène sans précédent depuis la révolution de 1979 - mais, en apparence du moins, il est parvenu à mâter le « mouvement vert », la couleur de la contestation dans les rues de Téhéran.

En apparence, seulement, car c'est un ordre plus précaire qu'il n'y paraît qu'Ahmadinejad, et derrière lui l'ayatollah Khamenei, ont imposé. « Le mouvement vert est obligé de marquer une pause, le régime est toujours là et son renversement a été un échec, affirme François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran de retour d'Iran, mais les gens ne sont pas déprimés, ils n'ont pas le sentiment d'avoir vraiment perdu et sont convaincus que leur heure viendra. La république islamique a passé un seuil, les choses ne seront plus jamais comme avant. »

L'Iran n'est d'ailleurs plus celui qui renversa le Shah. 70 % de la population à moins de 30 ans et vit désormais dans les villes. Le pays compte 3 millions d'étudiants et une majorité de femmes parmi eux. Le voile reste omniprésent, mais la femme iranienne joue un rôle de plus en plus prépondérant sur la scène sociale. Comme en Occident, cette génération est sans doute moins portée sur l'idéologie que ses pères, mais pas démobilisée pour autant et en quête de liberté d'expression. On l'a vu depuis un an.

Retranché derrière l'appareil militaro-sécuritaire, le régime en place a en outre perdu en partie une légitimité incontournable depuis 1979, celle des religieux. La plupart des responsables influents du clergé chiite critiquent le gouvernement et soutiennent le mouvement réformateur. Jusqu'où ? C'est l'une des clefs de l'avenir immédiat. Tout porte à croire que le sommet de l'État iranien est actuellement isolé, mais une structuration politique de la contestation manque encore.

Dans un tel contexte intérieur, le dossier nucléaire est un levier vital pour Ahmadinejad. Les nouvelles sanctions élaborées par les grandes puissances ont sans doute davantage le mérite de rallier Moscou et Pékin à un texte commun, que de menacer réellement le président iranien, car c'est surtout de l'intérieur que le fruit peut tomber.

Laurent Marchand

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