Plus encore que le montant record du déficit de la Sécurité sociale prévu en 2010 - 27 milliards d'euros -, c'est la série dans laquelle il s'inscrit qui saisit d'effroi. La rétrospective est atterrante, la perspective est terrifiante ; l'une et l'autre montrent que le « trou de la Sécu » entre désormais dans une quatrième dimension, une zone où il échappe à tout contrôle. Après les déficits des années 1985 à 2000, qui se mesuraient en unités de milliards d'euros, sont venus ceux des années 2000, autour de la dizaine de milliards d'euros. Tel fut en effet l'ordinaire des pertes annuelles entre 2003 et 2008. Avec la crise financière mondiale, qui a fait s'effondrer les recettes salariales et s'envoler les dépenses sociales, l'unité de compte du déficit de la Sécurité sociale est devenue, en 2009 et 2010, la vingtaine de milliards d'euros. Fin de la troisième dimension. Au rythme auquel continuent d'évoluer les prestations et au vu des maigres espoirs de rebond de l'emploi et des salaires, le seuil des 30 milliards d'euros de pertes sera franchi l'an prochain. Car le gouvernement aurait tort de s'en remettre au caractère conjoncturel de la dégradation passée pour en espérer un redressement futur.
A un déficit de crise ne succédera pas un excédent de reprise. Pour trois raisons. D'abord, en majorité assises sur les revenus du travail, les recettes sociales sont moins réactives que les recettes fiscales. Ensuite, à de tels niveaux de déséquilibre, il faudrait un effort de très longue haleine - trop au regard des réalités de la politique. Enfin, après avoir tant vanté dans la crise le « modèle français », l'efficacité d'un amortisseur social célébré jusque dans la presse anglo-saxonne, il est difficile d'expliquer que le précieux coussin est devenu un boulet financier, un accélérateur de dette publique.
Les sommes en jeu peuvent certes paraître secondaires au regard des déficits budgétaires. Mais, à la différence d'un Etat qui peut s'endetter pour investir, une assurance sociale a vocation à couvrir par ses primes les services qu'elle offre. Pas à reporter la facture sur les générations futures à raison de 50 milliards d'euros tous les deux ans. Il y a là plus qu'une anormalité, une amoralité. Payer nos dettes serait la première étape vers une prise de conscience de ce que nous coûte notre glorieux amortisseur social. La deuxième serait de commencer à vraiment colmater les fuites, en acceptant cette idée bien peu française que des réformes puissent faire quelques perdants aujourd'hui pour éviter de l'être tous demain.
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