TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 14 juin 2010

État de droit, on avance

Parfois, les révolutions sont discrètes. Depuis mars, il est possible pour un justiciable de saisir le Conseil constitutionnel sur une loi ou un article de loi en vigueur, pour demander que soit vérifiée sa conformité avec notre loi fondamentale. C'est l'un des effets de la révision constitutionnelle votée en juillet 2008.

La première « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) a porté sur les textes qui « cristallisaient » les pensions des anciens combattants des ex-colonies françaises. La juridiction suprême a jugé que ces dispositions étaient contraires au principe d'égalité devant la loi. Les pensions devront être recalculées. Ainsi sera mis fin à une injustice flagrante.

D'autres questions sont en cours d'examen, notamment sur le droit à l'indemnisation d'un enfant né handicapé, et sur le sujet très sensible du principe et des modalités de la garde à vue.

Ce qui est en jeu, c'est l'affermissement de l'État de droit dans notre pays. Nous avons le sentiment de vivre dans une démocratie solidement établie. Mais si nous regardons nombre de nos partenaires européens, surtout au nord et à l'est, si nous faisons la comparaison avec les pays anglo-saxons, les Français se distinguent par le fait qu'ils ne font que moyennement confiance à la loi et au législateur.

À la « légalité », ils opposent souvent une forme de légitimité populaire qui est celle de « la rue », qui autoriserait parfois même le recours à la violence. C'est assurément l'héritage de la révolution française, expérience fondatrice de notre existence politique moderne. Le pays semble, du coup, aller de blocages en crises, comme si les procédures légales et démocratiques ne suffisaient pas à assurer le développement normal de la vie en société.

En même temps, notre pays souffre aussi largement d'une inflation législative. Dès que surgit un drame, une crise, on sort un projet de loi, ce qui fait que nombre de textes restent inappliqués, et que des décrets d'application restent dans les tiroirs. Dès lors, la loi devient un outil d'affichage politique, plutôt qu'un instrument de régulation collective. Enfin, on entend, ces derniers temps, dire que la politique doit savoir tordre le bras à la loi, si elle est un obstacle. C'est ce qui a été affirmé lorsque le conseil d'Étata rendu un avis défavorable sur le projet de loi sur le voile intégral...

La mise en oeuvre de la « question de constitutionnalité » peut modifier progressivement notre rapport à la loi et à la Constitution, en montrant qu'il est possible de les prendre au sérieux et au mot. La première décision de la Cour constitutionnelle a mis fin à une injustice dénoncée et reconnue depuis longtemps, mais dont les victimes n'étaient pas en position de faire entendre leur protestation dans la rue. Il en va de même pour les « gardés à vue »...

La QPC offre un accès au droit, à la justice, à ceux qui ne peuvent pas s'organiser en groupe de pression ou de protestation. C'est en soi une oeuvre d'égalité et de justice considérable. Elle va, peu à peu, rendre la loi beaucoup plus crédible, puisqu'elle apparaîtra davantage au service du citoyen et du justiciable. C'est tout à fait considérable. À condition que des hommes politiques ne partent pas en guerre contre le Conseil constitutionnel, en dénonçant « la République des juges ».



(*) Éditeur et écrivain.
Jean-François Bouthors (*)

0 commentaires: