TOUT EST DIT

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vendredi 28 mai 2010

L'ordre des choses

Ça n'a pas été un raz-de-marée - c'est un euphémisme - mais ça n'a pas été non plus une mer d'huile. Ça n'a pas été la « journée cruciale » qu'espérait Bernard Thibault mais ça n'a pas été non plus la faible mobilisation qui, selon Luc Chatel, « valide la méthode du gouvernement ». Dans cette bouteille à moitié pleine pour les uns et à moitié vide pour les autres, on peine à identifier qui l'emporte de l'acidité active de la protestation ou de la rondeur passive de l'indifférence.
A vrai dire, ce jeudi de grève sous la pluie ressemble un peu à un pétard mouillé de fin de printemps qui ne condamne pas pour autant un feu d'artifice social d'automne. La pédagogie de la crise, nourrie par les exemples de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne et même de l'Italie, a clairement désamorcé une révolte frontale et globale contre le projet du gouvernement. Les unes après les autres, les enquêtes de société montrent que l'idée de l'allongement inéluctable de la durée de cotisation, qui était au coeur du dispositif Fillon de 2003, progresse dans les esprits. Même le PS a fini par s'y rallier... Mais cette évolution, dictée par l'évidence démographique, n'a pas neutralisé définitivement l'allumette que représente, pour la réforme toute entière, l'hostilité d'une large majorité de Français à la suppression de la retraite à 60 ans. 62% d'entre eux se disent prêts à manifester, un jour ou l'autre, pour défendre ce « droit au départ » qui représente, à leurs yeux, une sécurité et une liberté.
La logique que le discours du gouvernement a su imposer au fil des mois est désormais conditionnée à l'exigence de justice sociale qui a la force redoutable du consensus. Valeur subtile autant que subjective, elle suppose, de la part du gouvernement, beaucoup de souplesse, de sensibilité et de pragmatisme. L'erreur serait de substituer une rigidité à une autre. Il faut éviter de tomber dans le piège d'une époque révolue qui consisterait à vouloir verrouiller un nouveau système général, universel et faussement égalitaire, là où la diversité des conditions de travail, de vie et de carrière suggère un dispositif modulable. Plastique.
L'ordre des choses est fondamental. Les questions de la pénibilité et des longues carrières auraient dû être traitées AVANT d'annoncer tout recul de l'âge légal du droit au départ. La fixation de ce seuil symbolique ne saurait être une règle monolithique rébarbative qui avantage objectivement les salariés ayant fait des études. Quant au particularismes des régimes spéciaux, comment pourraient-ils rester à l'écart d'une remise à plat complète du système sans provoquer l'incompréhension d'une partie du pays ?
Dans la grande mutation à laquelle les temps nouveaux obligent une France bloquée, la qualité d'une méthode libre de toute idéologie décidera de la réussite ou de l'échec.

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