Imaginons un peu à quoi pourrait ressembler l'école en 2020.
Le système éducatif français se cherche. Décrochage des élèves les plus faibles, démotivation, absentéisme, baisse du niveau… le constat est sombre. La réforme du lycée, même limitée, ouvre des brèches vers l'autonomie des établissements ou la rémunération au mérite. À quoi ressemblera l'école de demain ? Le Figaro a imaginé le système éducatif en 2020. Rêve ou cauchemar, voilà ce que laissent augurer les projets, rapports et revendications des uns et des autres.
Collèges et lycées : que le meilleur gagne
Le lycée Frédéric-Beigbeder est un bâtiment lumineux, à mi-chemin entre la zone pavillonnaire et les immeubles de la cité. Derrière ses grilles et son portique de sécurité, une vaste cour qui distribue les salles de classe, salles de conférences et bureaux des professeurs. Il y a toujours de la vie derrière ces murs, puisque le lycée ne ferme pas ses portes pendant les vacances. Les bâtiments sont ouverts 365 jours par an, accueillant les élèves pendant les vacances pour des stages de remise à niveau, du perfectionnement en langue vivante… Banalité : toutes les classes sont équipées de vidéoprojecteurs et d'un accès à Internet, de même que les bureaux des professeurs, qu'ils se partagent par groupes de deux ou trois. Le visiteur qui pénètre dans le hall principal découvre une exposition de photos et des installations vidéo. Un tableau illustre le travail d'un preneur de son et d'un monteur. Car le nouveau projet d'établissement a été signé cette année par l'équipe pédagogique et les représentants de parents. Dans un monde où l'image est omniprésente, à travers les sites d'échange de vidéo en ligne, le travail du lycée sera centré sur «l'acquisition des valeurs citoyennes et de la rigueur à travers la création et la transformation d'images». Une section littéraire avec option montage vidéo, des ateliers consacrés aux connaissances scientifiques liées à la transmission d'images, un travail mêlant jeu, danse et mise en scène… Le proviseur est ravi : il a gagné quelques élèves, venus du lycée voisin, qui a fermé à la fin de l'année dernière, faute de public. «Évidemment, ricane-t-il, avec un projet sur les grandes œuvres littéraires françaises…» Son budget a augmenté d'autant : de quoi développer de nouveaux ateliers.
Ce qui existe déjà.
Les portiques de sécurité peuvent être acquis par les conseils généraux et mis à la disposition des établissements scolaires. Les établissements proposent, à l'initiative de Xavier Darcos, des stages pendant les vacances. Les projets d'établissement sont généralisés depuis la loi d'orientation de 2005, certains ayant déjà porté sur le football. La mise en concurrence des établissements découle de l'ouverture de la carte scolaire et aboutit à la fermeture des établissements les moins demandés.
La lourde charge du chef d'établissement
Jean-Marc Mercier, principal du lycée Philippe-Sollers, revient ragaillardi de la formation dispensée par le rectorat : «L'entretien d'embauche dans l'éducation nationale». Il est armé pour jauger les professeurs qui répondent à son appel d'offres. Car, en bon manager, M. Mercier recrute. Avec le budget voté cette année par son conseil d'administration, il a choisi de renforcer son équipe. Le poste en question est strictement décrit : travail en équipe, capacité à gérer une pédagogie différenciée… Il veut des gens jeunes, motivés, prêts à tout tenter. Sa politique de primes a déjà donné le ton. Fini, les professeurs enfermés dans leur classe pour faire un cours classique. Tout le monde doit participer aux ateliers de remédiation qui ont lieu tous les après-midi. D'ailleurs, sa classe sponsorisée par l'entreprise de BTP de la ville fonctionne très bien : les élèves bénéficieront d'un stage et même d'un voyage sur un des chantiers de l'entreprise. L'agence bancaire, elle, a organisé un jeu à destination des jeunes : ils géraient de l'argent fictif en étudiant les cours de Bourse. Le gagnant a eu droit à une ouverture de compte et à une petite cagnotte. Mais M. Mercier a surtout un grand projet pour l'année prochaine : la création d'une fondation d'entreprise, qui lui permettra d'investir dans de nouveaux équipements.
Ce qui existe déjà.
Les postes à profil se sont multipliés avec la généralisation des projets d'établissement. Ce sont donc les chefs d'établissement qui recrutent. L'autonomie des établissements est initiée par la loi d'orientation de 2005, même si elle est pour l'instant très limitée ; mais la réforme du lycée, par le biais des heures d'accompagnement, accorde de plus en plus de liberté pour une organisation locale des enseignements. Le jeu d'argent organisé par une banque a été mis en place à l'occasion du passage à l'euro. Il avait été supprimé après protestation des professeurs.
Le nouveau métier de professeur
Jeanne est à son bureau. Elle attend les élèves qui doivent venir lui demander des précisions sur son cours d'anglais. Puis elle participera à la soutenance d'un petit groupe de la classe de seconde dont elle est le professeur de français. Ils présentent leur projet de fin d'année sur l'archéologie régionale : histoire, présentation d'un chantier de fouilles, rédaction d'un récit sur les habitants de la ville au XIIe siècle… Elle essaiera en fin de journée de se greffer sur une heure d'étude dirigée : avec la rémunération au mérite, il vaut mieux accumuler les activités. À ce jeu-là, son collègue Bernard est plus doué qu'elle. Il a monté un club de théâtre et aide les lycéens à gérer le bureau des élèves. Autant d'heures supplémentaires. Il faut dire que Bernard a des raisons d'être motivé : il a attendu son poste pendant quatre ans. Après son concours, impossible de trouver un poste correspondant à son profil. En attendant, il a travaillé pour une officine de soutien scolaire. Mais maintenant que l'éducation nationale lui offre les mêmes possibilités… Quant à sa jeune collègue Nadia, elle a été recrutée par une procédure spécifique, pour incarner la diversité : indispensable dans un établissement comme le leur, classé ambition réussite.
Ce qui existe déjà.
Le rapport Pochard, du 4 février 2008, sur la redéfinition du métier d'enseignant évoquait l'idée de la rémunération au mérite, la bivalence et un prérecrutement adapté pour un public issu de la diversité. Les «35 heures au lycée» étaient une proposition de Ségolène Royal, mais elles étaient également suggérées sous une autre forme dans le rapport Pochard. Une source ministérielle aurait officieusement évoqué, en février 2009, la possibilité de ne pas attribuer automatiquement un poste aux titulaires des concours de recrutement, mais l'idée n'a jamais été commentée officiellement. La réforme du lycée, en développant les missions des enseignants, ouvre la porte à la rémunération au mérite.
Les parents terribles
Isabelle et Stéphane se sont réveillés aux aurores ce samedi matin. Ils sont convoqués au collège de leur fils Jérôme pour une remise à niveau. Pendant deux heures, on va leur donner les bases du «métier de parents». Il faut dire que Jérôme est infernal. Insolent, indiscipliné… C'est décidé, l'année prochaine, ils l'inscrivent dans le privé. Avec leur chèque-éducation, distribué aux familles par le ministère, ils ont le choix de l'établissement. Et puis, même si Jérôme ne fait pas grand-chose en classe, ce qui compte, c'est qu'il ait son bac. C'est pour cela qu'ils ont souscrit l'assurance vendue par une officine de soutien : bachelier ou remboursé. Et pour cette convocation, ils ont tout de même prévenu leur avocat. On ne sait jamais… L'année dernière, ils ont dû porter plainte contre l'Éducation nationale : la sœur de Jérôme, alors en terminale, avait manqué une semaine de cours à cause d'un professeur absent. La justice a tranché : l'institution était responsable de sa mauvaise note de maths au baccalauréat.
Ce qui existe déjà.
Les écoles de parents se multiplient sous forme d'associations. Certaines mairies et certains établissements scolaires proposent des formations à la psychologie de l'enfant, à l'autorité… Le chèque-éducation est une revendication notamment de l'association SOS Éducation. En 2006, l'État a été condamné pour l'absence d'un professeur de philosophie, cause, selon l'élève plaignant, de son 6/20 au baccalauréat.
Les enfants terribles
Le bonheur à l'école, ça existe. Arthur, 15 ans, ne vivra pas les heures d'insupportable ennui qu'ont subies ses parents à écouter vaguement un professeur, assis sur une chaise au fond de la classe. Certes, il ne voit pas bien l'intérêt de ce qu'on lui fait faire, mais il a au moins compris comment avoir de bonnes notes. Et puis, il est payé pour venir en cours : enfin, il voit un sens à l'école. D'ailleurs, sa classe aura droit cette année à un voyage en Espagne. Les élèves de sa classe ont été les plus assidus, avec un taux de présence de 96 %, et leurs résultats sont les meilleurs du lycée. Bon, il a fallu secouer un peu Martin, qui n'était pas motivé, mais tout le monde s'y est mis. Ce matin, Arthur remplit son livret de compétences pour le domaine «autonomie et esprit d'initiative». Il a su mener son projet de groupe sur les langues méditerranéennes, il a eu l'idée d'aller chercher des documents sur Internet et, surtout, d'ajouter un passage sur l'entraide entre les peuples… : il peut cocher tous les items. Et ne parlons pas de ceux qui concernent les langues ! Et comme le livret de compétences valorise les engagements extérieurs, il pourra faire mention de ses cours de batterie et de son groupe de rock. Le matin, il travaille sur ses projets, et l'après-midi, on vérifie les connaissances acquises, on les fixe avec un enseignant. Mais plus de notes surtout : au dernier conseil d'administration, les lycéens ont voté contre ce couperet qui augmente le stress au travail. Et ils sont des travailleurs comme les autres. Arthur a un tuteur et pratique chaque matière dans des groupes de niveaux. Comme les modules sont thématiques, il n'aura peut-être pas traité le même programme que son voisin Yohann. Mais peu importe : il est jugé sur ses capacités méthodologiques, la qualité de ses recherches… Et si les notes ne suivent pas, il pourra toujours attribuer une mauvaise évaluation à l'un des professeurs, puisque les élèves donnent leur avis en fin d'année.
Ce qui existe déjà.
L'organisation en une demi-journée de projets et une demi-journée de vérification des connaissances, ou une demi-journée de cours et une demi-journée d'ateliers, est actuellement expérimentée dans plusieurs lycées en France. La rémunération des élèves assidus est une des dispositions mises en place par le Haut-Commissariat à la jeunesse. Le livret de compétences a été validé par Luc Chatel et Martin Hirsch ; il tient également une place dans la réforme du lycée. L'idée de faire évaluer les professeurs par les élèves est proposée par de nombreux travaux de recherche en sciences de l'éducation. Un site Internet finalement supprimé l'avait mise en place.
dimanche 29 novembre 2009
Plongée dans l'école du futur
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