La quasi-totalité des grandes enseignes françaises comparaissent le 17 novembre devant la justice. L'Etat leur reproche des clauses abusives imposées dans les contrats avec leurs fournisseurs...
Rien ne va plus entre le gouvernement et les principaux distributeurs français. L'Etat leur reproche d'avoir imposé des clauses abusives dans leurs contrats avec leurs fournisseurs. Neuf d'entre eux comparaissent ainsi du 17 au 20 novembre devant divers tribunaux de commerce, à l'initiative de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. Ils encourent chacun 2 millions d'euros d'amende, sans compter le remboursement d'éventuelles sommes indues.
"C'est la première fois que l'Etat réalise un geste de cette ampleur , commente pour LExpansion.com Jean-Luc Ambroise de la DGCCRF. Le but est de rétablir l'équilibre dans les relations entre fournisseurs et distributeurs."
Carrefour, Casino, Auchan, Leclerc, Cora, Système U, Intermarché, Castorama et Darty... La plupart de ces grandes enseignes ont déjà été poursuivies et condamnées pour les mêmes raisons, mais à l'occasion de procédures non coordonnées. Pour monter cette nouvelle offensive collective, la DGCCRF n'a pas lésiné sur les moyens humains. Elle a formé en son sein une brigade de 120 personnes chargée de contrôler le bon fonctionnement de la Loi de Modernisation de l'Economie(LME). Passant au crible 400 contrats commerciaux, cette équipe spéciale a identifié une dizaine de clauses abusives qui s'y retrouvent de façon récurrente.
"Parmi les clauses injustifiées, l'obligation pour le fournisseur de reprendre les produits que le distributeur n'a pas réussi à écouler, des pénalités disproportionnées dans le cas où une livraison arrive avec une heure de retard, ou bien une baisse de prix exigée quand le cours des matières premières diminue, mais pas l'inverse. Les distributeurs demandent également aux fournisseurs de leur fournir des données confidentielles comme le chiffre d'affaires, pour s'assurer qu'ils ne soient pas trop dépendants de leurs commandes. Exiger de telles informations est illégal," explique Jean Luc Ambroise. Les premières lésées seraient les PME agroalimentaires.
Si le président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), Jérôme Bédier, affirme tout net que "les distributeurs ne connaissent pas la raison de fond qui leur vaut ces assignations ", les réactions des enseignes sont diverses.
La direction de la communication d'Auchan joue la sereinité, et se targue"d'une application scrupuleuse de la LME dans son ensemble."Auchan affirme n'être concerné que par deux des clauses abusives mentionnées par la DGCCRF. La première concerne les pénalités de retard, que l'enseigne " appliquerait très rarement", et la seconde la diminution automatique des tarifs des fournisseurs en cas de baisse des matières premières, "ce qui est normal puisque les fournisseurs renégocient leurs tarifs à la hausse quand les cours augmentent", justifie l'enseigne.
De son côté, Michel Edouard Leclerc ne cherche pas à discuter, ni à réprimer sa colère. Condamné récemment à titre individuel à reverser une somme record à 28 fournisseurs, il vocifère que l'Etat "fout la pagaille" en organisant une "punition collective irresponsable" du secteur. Sur son blog, le patron de Leclerc affirme même que ses fournisseurs sont de son côté : "Les fournisseurs ne réclament pas les 23,3 millions d'euros que l'Etat me demande de leur verser. Les pouvoirs publics se sont érigés entre eux et nous, et se sont attribués un rôle qu'il n'avait pas à jouer".
Ce n'est pas l'avis de Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) qui se félicite que l'Etat fasse "la chasse" aux clauses et pratiques abusives et brise ainsi "la loi du silence". Même satisfaction du côté du principal syndicat agricole, la FNSEA, qui estime dans un communiqué intitulé "Pris en flag" qu'il s'agit d'"un succès syndical".
Pour Pierre Alain Weill, délégué national entreprises au PS, "Cette assignation pointe justement un rapport de force encore trop inégal entre distributeurs et fournisseurs, particulièrement pour les producteurs travaillant en sous-traitance pour produire les MDD (Marques de distributeurs) de la grande distribution. Leurs produits ne bénéficient pas de reconnaissance de la part du consommateur, contrairement aux marques nationales des grands fournisseurs. On peut facilement les menacer de déréférencement.
Une menace qui touche aussi les plus gros fournisseurs. Sous couvert d'anonymat, un responsable grand-compte d'une multinationale de biens de consommation confie à LExpansion.com que "L'échec de la LME réside dans le fait que les distributeurs négocient automatiquement tous les prix à la baisse, en brandissant une arme surpuissante : la menace de nous mettre en gamme restreinte, ou de nous déréférencer totalement. Certains distributeurs ont mis quelques-uns de nos produits en embargo depuis des mois." Et d'ajouter que "Cette assignation aura au moins le mérite d'assainir les relations- si relation il y a - extrêmement compliquées entre fournisseurs et distributeurs".
Et maintenant?
Pour le secrétaire d'Etat chargé du Commerce et des PME, Hervé Novelli, "ces procédures ont vocation à avoir des vertus pédagogiques pour faire en sorte qu'en 2010 aucune clause abusive ne subsiste dans les contrats". Reste que certains distributeurs semblent plutôt tentés par la résistance. "Je ne céderai pas à cette pression. C'est sur notre politique de prix qu'on sera jugés par les consommateurs", affirme ainsi Michel Edouard Leclerc. Beaucoup plus modéré, Auchan n'en tient pas moins la même ligne de défense : "Le résultat de la LME est le résultat escompté par l'Etat, puisque les prix de notre enseigne ont baissé de près de 1% sur un an, grâce à la réduction conjugée de nos marges et des tarifs de nos fournisseurs."
Pour Pierre Alain Weill, ce doit être l'occasion de réfléchir aux faiblesses de la loi Dutreil et de la LME : "Le problème va au-delà de la simple clause abusive dans un contrat commercial. Le gouvernement a promis d'augmenter le pouvoir d'achat des Français. Pour ce faire, il y avait deux méthodes : augmenter les revenus, ou baisser les prix. Le gouvernement a choisi la seconde solution, ce qui met la pression sur un secteur déjà sous tension avant ces deux lois. Résultat, la précarité du secteur s'aggrave depuis deux ans, la grande distribution réduit son personnel et ouvre des caisses automatiques pour gonfler ses marges."
La réponse judiciaire prendra en tout cas plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Selon la DGCCRF, en effet, "Ce type de procédure au civil avec des renvois d'audience peut durer longtemps"
mercredi 18 novembre 2009
L'Etat au secours des fournisseurs de la grande distribution
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