TOUT EST DIT

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jeudi 19 novembre 2009

Alain Juppé : "La France doit se battre pour rester dans le coup"

Le maire de Bordeaux a coprésidé avec Michel Rocard la commission sur le grand emprunt. Il éclaire les choix et la méthode.

35 milliards d’euros, c’est un montant raisonnable pour un grand emprunt. Comment l’avez-vous arrêté ?
Nous n’avons pas travaillé sur un montant d’emprunt mais sur un volume d’investissements souhaitables pour préparer l’avenir et soutenir la croissance. En tablant sur des cofinancements avec le privé et les collectivités territoriales, nous avons abouti à un programme de 60 milliards d’euros dont 35 milliards d’investissements publics. C’est maintenant au gouvernement de décider s’il doit ou non emprunter pour les financer.

Ça s'est bien passé avec Michel Rocard ?

Très bien. C'est un homme d'une grande courtoisie et d'une grande vivacité intellectuelle. Nous n'avons pas eu de divergences de fond. Dès le départ, nous nous sommes mis d'accord sur le fil conducteur de cette commission : contribuer à la transition vers un nouveau modèle de développement, sans dégrader la signature de la France. Nous avons rencontré l'agence France Trésor, ceux que certains appellent "les technocrates", mais dont on a bien besoin pour gérer sérieusement. Il nous est apparu qu'avec la fourchette retenue, nous ne prenions pas de risques, à condition évidemment de mener parallèlement un effort très rigoureux de remise en ordre des finances publiques.

Il n'y a vraiment eu aucun sujet de conflit entre le socialiste Michel Rocard et l'UMP Alain Juppé ?

Il y a eu des débats comme il y en a eu avec les autres membres de la commission. Michel Rocard a, par exemple, beaucoup insisté pour qu'on reprenne un de ses projets qui remonte à quelques années: le canal Seine Nord. Moi j'étais très intéressé par les infrastructures ferroviaires. La commission ne nous a pas suivis. Elle nous a fait valoir que si nous voulions réellement mettre l'accent sur le potentiel d'innovation et de recherche, financer un canal ou une ligne TGV n'était pas la priorité.

Précisément, quels ont été vos critères de sélection ?

C'est parfois très difficile de mesurer la rentabilité socio-économique d'un investissement. Il nous est cependant apparu évident que, compte tenu du retard français, il fallait mettre le paquet sur l'enseignement supérieur et y consacrer plus de la moitié du volume des investissements. C'est aussi une façon de faire évoluer les comportements: quand on dote une université d'excellence d'un capital, cela peut l'inciter à le faire fructifier en mobilisant des fonds privés. Sur l'avion du futur, l'enjeu est aussi très clair : aujourd'hui, nous sommes la première ou la deuxième puissance aéronautique mais cela ne va pas durer. Les Chinois font des avions. Si nous voulons rester dans la course, nous devons concevoir l'avion qui consommera moitié moins de carburant. Nous sommes condamnés à une sorte de fuite en avant technologique.

Etes-vous parvenus à mettre un peu d'Europe dans le rapport ?

Pas suffisamment. C'est peut-être l'un des points où le mandat qui nous était assigné ne nous a pas permis d'aller aussi loin que nous l'aurions souhaité. Le grand emprunt, c'est d'abord un projet français. Mais l'avion du futur cela concerne Airbus, donc c'est du franco-allemand. Le futur lanceur Ariane 6 c'est aussi de la coopération européenne.

Comment éviter de renouveler les erreurs du plan calcul qui prétendait dans les années 1960 assurer l'indépendance informatique de la France ?

J'entends toujours parler de l'échec du plan calcul mais jamais du succès du plan nucléaire! Cette fois, nous ne sommes pas dans un plan industriel mais dans la valorisation de la recherche. La commission n'a pas labellisé de projets. Elle n'en avait ni la compétence ni le temps. Elle a déterminé des domaines d'intervention et proposé des structures qui recevront l'argent et sélectionneront les projets. Dans bien des cas pour un euro public, s'ajoutera un euro privé, ce qui peut fournir la garantie d'une certaine rentabilité des investissements. Enfin l'argent ne sera pas inscrit sur les lignes budgétaires traditionnelles mais affecté à des organismes bien identifiés. Un comité de surveillance placé auprès du premier ministre en assurera le suivi et l'évaluation.

Quand François Fillon se donne jusqu'à 2014 pour faire passer les déficits publics sous la barre des 3% du PIB, l'approuvez-vous ou estimez-vous qu'il prend du retard ?

Je pense qu'il est réaliste. Moi j'ai réduit de deux points en deux ans la dépense publique, je sais ce que ça m'a coûté.

Comprenez-vous le message du gouvernement qui veut que l'effort de réduction des dépenses soit partagé entre l'Etat et les collectivités locales ?

Oui, mais à une condition : que l'Etat ne se défausse pas en permanence sur les collectivités locales, qu'il ne nous dise pas un beau jour: vous allez faire les cartes d'identité à notre place en nous donnant 50 alors que ça coûte 100. Ce n'est pas du jeu. Les collectivités territoriales sont globalement bien gérées. Faire peser sur elles le poids du dérapage des dépenses publiques n'est pas très convenable. D'autant qu'elles réalisent 73 % des investissements publics alors que l'Etat n'en fait plus.

La fronde des élus locaux risque-t-elle de laisser des traces ?

J'en ai peur. Le Parti socialiste a trouvé là matière à pilonnage systématique.

Y a-t-il eu trop de réformes ?

Peut-être se sont-elles additionnées un peu trop rapidement et sans préparation suffisante. Il ne faut évidemment pas les arrêter, mais bien en montrer le sens. La finalité de tout ça, c'est que nous devons nous battre pour rester dans le coup. Dans un monde en pleine évolution, l'Europe est en train de se faire marginaliser.
Propos recueillis par Françoise Fressoz

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